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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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ne pas perdre de temps et à
dépenser moins. Je visite sur mon passage une habitation troglodytique et suis
reçu dans un caveau par des viticulteurs dont le fils accomplit son Tour de
France comme menuisier. Il m’est impossible de me souvenir de toutes les
beautés architecturales que je rencontre. Ici un château, là une église, puis
un prieuré, encore un point de vue qui fait rêver… Comment se fait-il que tant
de merveilles soient réunies là ? Je suis républicain dans l’âme, mais je
rends justice aux princes et aux rois auxquels l’art de la pierre doit
énormément. Le long de ma promenade, tout me frappe, m’attire, m’invite à la
flânerie. Je savoure les premiers congés que je prends sans rien demander à
personne. Est-ce bien raisonnable ! Ai-je le droit de me faire
plaisir ? ou bien deviendrais-je criminel si je passais devant ces
merveilles sans aller les saluer ? À Cunault je visite la nef en forme de
long vaisseau flanquée de bas-côtés assez hauts pour la contrebuter. Mon crayon
picore des chapiteaux en nombre incalculable. Je dîne et dors dans ce
village ; mais avant de gagner mon lit je cours saluer cette Loire, cette
sublime allée royale. Je la butine des yeux, la câline du regard et tout
simplement lui souhaite une belle nuit sous les étoiles qui la protègent. Le
lendemain, dès l’aube, je passe par Gennes, Le Thoureil dominé par son église
supportant un clocher, mur servant de fanal aux mariniers. Je m’attarde à
Saint-Rémy-la-Varenne, coquet village blotti dans les frondaisons, nanti d’une
église possédant un chevet roman en cul-de-four, avec frise et modillons
sculptés. Puis m’apparaît Saint-Mathurin et Cohier avec face à lui, son île de
Blaison. Je quitte les rives du fleuve pour Saint-Saturnin et Juigné. Il est
impossible de me souvenir de tous les lieux qui jalonnent ma route jusqu’à
Nantes. J’ai vraiment vécu, durant cette longue promenade, des heures
empreintes de beauté, de force et d’équilibre. Nantes ressemble à une
fourmilière géante. Les gens y sont nerveux, bruyants ; les rues étroites
ou trop larges. Le souvenir de mes épreuves à la Loge me reviennent en mémoire.
Que le temps passe vite ! Bref, je continue vers Saint-Nazaire. Là, pour
la première fois de ma vie, j’aperçois la mer. Là-bas, très loin, je m’imagine
les Amériques comme je les avais vues sur les cartes de Monsieur Bouzy. Une
envie folle me pousse à monter sur un bateau et à partir. Mon rendez-vous à
Bordeaux avec papa Rabier et mon gros Ours m’en dissuade immédiatement.
    J’entre chez un cabaretier pour goûter le petit blanc sec,
un peu râpeux, qui, paraît-il, combat la gravelle. Un homme vient s’asseoir à
ma table. Il me dit à brûle-pourpoint :
    — Tu es compagnon charpentier, mon coterie. Je me
trompe ?
    — Non point. Blois le Jeune pour te saluer.
    — Rechercherais-tu de l’ouvrage, par hasard ?
    — Ça se pourrait. Je viens d’arriver. Les côtés de ma
bourse commencent à se rapprocher.
    — Je suis singe sur le chantier un peu plus loin d’ici.
Je m’appelle Medoc le Têtu, parce que, lorsque j’ai décidé quelque chose, rien
ne peut m’en dissuader. J’avais une bonne équipe d’indiens, mais Paris m’en a
soufflés beaucoup trop ; alors, si tu es libre, veux-tu te joindre à
nous ?
    — En quoi consiste le travail ?
    — La construction de charpentes des bateaux de moyen
tonnage. C’est-à-dire rien à voir avec l’Arizona [15] ,
s’esclaffe-t-il.
    Le compagnon me paraît franc du collier. Sa proposition
m’évitera de chercher plus longtemps. On se met d’accord sur le prix. Pour
finir, nous nous donnons l’accolade et, bien sûr, arrosons copieusement notre
rencontre.
    La construction d’un bateau ressemble à celle d’un corps
humain. Je découvre le squelette. La quille figure le pied, la coque le tronc,
le château la tête. Je m’attache particulièrement à la coque. Membrures,
couples, lisses, joues, cales ne représentent que des mots-clés qui demandent
une étude très poussée de la lecture des plans, une rectitude d’exécution. Je
me passionne pour le travail ; j’achète quelques livres et le soir je
calcule, pour m’amuser, les données d’un bateau de rêve.
    Le temps passe et, en réfléchissant, je crois que je devrais
continuer ma route. Pour me rendre à Bordeaux je prendrai le bateau qui fait le
service entre ces deux villes. Medoc le Têtu regrette mon

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