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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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un peu triste.
    — Y’a pas le feu au bois, mon gars ; mais tu es
libre. Ton travail m’a satisfait. Que vas-tu faire maintenant ?
    — Retrouver mes amis et mon presque père, Monsieur
Rabier, puis faire la connaissance de Monsieur Berthomieu.
    — Monsieur Berthomieu est un grand singe. Tu verras, il
est dur mais bon.
    — J’aime ça chez un homme.
    — Je te prépare ton compte, petit Blois ?
    — Oui et je repars. Je trimarde comme un vrai
compagnon.
    De Saint-Estèphe à Pauillac je longe à pied la Gironde,
parmi les vignes dénudées de leur trésor, mais conservant leurs feuilles presque
mordorées ou blondes. Mon singe, pour m’être agréable, m’a demandé de saluer au
passage des propriétaires chez lesquels je pourrai aimablement trouver repas et
coucher. C’est ainsi que les sourires, les mots aimables, la bonne chère et les
excellents vins jalonnent ma grande promenade. Après Pauillac je goûte aux
Mouton-Rothschild, Pichon-Longueville, Laroze, Cussac, et à bien d’autres crus
célèbres. À Margaux, dernière étape, le maître de chais me fait déguster de
merveilleux vins dont je me souviendrai très longtemps.
    Arrivé, après six jours de marche, à la rue d’Arrès, je
retrouve la Cayenne, la Mère, le Premier de la Ville et des visages connus.
Parmi eux mon gros Ours qui pleure de joie en me serrant dans ses gros bras. Je
lui conte ma petite odyssée. Il écoute avec attention, puis il se lève et,
devant tous les compagnons, il se met à chanter.
     
    Sac au dos, j’aime l’espace.
    Un morceau de pain dans ma
besace.
    Je m’achemine canne en main.
    Je défie les fils de chiens.
    Salomon était notre père.
    Par lui, nous sommes rois de la
terre.
    Notre savoir, notre science est
partout.
    Les châteaux, les cathédrales
sont de nous.
     
    Il est salué par des applaudissements de toute l’assemblée.
Il m’embrasse à nouveau, me palpe comme un objet d’art, essuie d’un revers de
main des grosses larmes qui sillonnent ses joues. Enfin il se calme et
engloutit trois verres de vin à la suite les uns des autres. À son tour, il
fait le récit de ses aventures. De la Rochelle, Beauceron garde un mauvais
souvenir de boue d’alluvions qui a pourri ses belles bottes. En revanche, à
Rochefort, L’Angoumois l’a rejoint. Aucune nouvelle de Marianne. Peut-être la
pauvre gosse ne sait-elle pas écrire… Beauceron veut partir pour
Saint-André-de-Cubzac rejoindre Rabier, L’Angoumois, l’Hercule.
    — Tu viens avec nous, mon drôle ?
    — Bien sûr.
    Je laisse passer un temps mort, puis reprends.
    — Et ta promesse à Marianne ?
    — Oh ! je ne change pas. Je lui écris qu’elle
vienne me rejoindre. D’ailleurs j’ai une idée, mon petit Blois.
Voilà ! : je loue une carrée, on s’installe en plus grand que dans
son nid d’hirondelles à Saumur. J’achète un truc…
    — Quel truc ?
    — Un truc, une espèce de petite charrette qui garde le
café au chaud. Y’aura aussi un panier à bouteilles, une caissette pour les
petites cuillères et le sucre. Tu vois où je veux en venir ?
    — La Marianne vendra du café chaud et du vin ?
    — Oui ! mais pas au litre ; juste pour faire
des champoreaux [24] à deux sous. Elle se baladera avec
sa petite bagnole d’un bout à l’autre du chantier. Ainsi Rabier sera content
que ses ouvriers ne s’esbignent pas pour aller boire au bistrot. Tu comprends
mon truc.
    L’Ours avait trouvé un nouveau mot. Tout devenait
« truc » et remplaçait le nom qu’il avait oublié. Je lui souris. Il
se met à rigoler. Toujours aussi loquace, il enchaîne :
    — La Marianne sera fière ; elle deviendra la femme
de Beauceron et sera respectée de tous les coteries. Car on se mariera devant
le maire, mon petit Blois, et tu seras à ma droite comme témoin.
    — Mais je n’ai pas vingt et un ans, Beauceron !
    — Ah ! oui c’est vrai… tant pis, tu seras tout de
même à mes côtés. D’accord ?
    — Avec plaisir.
    — Ah ! autre chose, as-tu vu la salle des
chefs-d’œuvre ? Viens je t’emmène.
    Empruntant un petit couloir nous entrons dans une immense
pièce haute de plus de cinq mètres. Là repose une partie de l’histoire du
compagnonnage. Sur une pierre, bien en évidence, sont gravés ces mots :
« le But et la Raison ». Dans un coin, sous vitrine, reposent cinq
chefs-d’œuvre de dimensions variées. Beauceron me montre du doigt avec respect
l’ouvrage le plus complet gâché [25]

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