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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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des fûts a
été réglementée assez récemment d’un commun accord, dans le Bordelais. Une
barrique fait entre 225 et 228 litres ; la demie de 110 à 115. On dit
maintenant une « Bordelaise ». Il est exact que la forme de ces barriques
est harmonieuse et légère. Leurs ailes sont gracieusement relevées, leurs
flancs rebondis et prometteurs. Mon singe m’emmène faire la tournée des
ouvriers libres. Ce sont le plus souvent de petits propriétaires façonnant les
futailles aux périodes creuses des soins de leur vigne.
    — Nous leur apportons les matériaux nécessaires et
remportons le travail fini. Ces vignerons façonniers touchent entre trois
francs et trois francs 75 le tonneau prêt à l’utilisation. Ils peuvent produire
jusqu’à deux barriques par jour ou trois demi-barriques.
    Ceci ne m’empêche pas, au cours des livraisons, de goûter ça
et là les différents crus. Tout dépend du terrain. Ici l’argile règne, là le
gravier, ou le caillou, ou le sable, ou la terre grasse. Mais deux fléaux se
sont abattus sur ces petits arbres de Bacchus. En 1870 le phylloxéra faisait
son apparition. Quatre ans après le mildiou ravageait les vignes. Merain me
raconte les angoisses des viticulteurs et la peur des tonneliers par voie de
conséquence. Ils ont arraché les plans malades, ont greffé des hybrides en
allant chercher de nouveaux ceps en Autriche, aux États-Unis, comme le Riparia.
    — Bref la révolution régnait dans tous les coins du
Bordelais. Il fallait voir les regards inquiets en parcourant les vignes trois
fois par jour ; les mains palpaient les feuilles ; les visages graves
s’interrogeaient. La peur nous habitait. Des messieurs en blouses blanches,
gantés, munis de loupes, nous arrivaient de partout prodiguant des conseils,
des avis, ou laissant planer des silences qui en disaient long. Et puis tu
sais, Blois le Jeune, tout dans ce bas monde a une fin. Ce choléra et cette
peste de la vigne se sont évanouis. À coup de mélanges de produits chimiques,
de chaux vive que nous répandions autour des plans ou sur les pieds des ceps, nous
sommes arrivés à juguler les démons. Avec quelques prières à Saint-Joseph ou à
Saint-Michel, patrons des tonneliers, le commerce a repris.
    — Combien coûte le vin, mon coterie ?
    — Pour cette année il est trop tôt pour le dire ;
mais un chai de l’année dernière se vendait quatre cent soixante quinze francs,
soit l’équivalent de 4 barriques de deux-cent-vingt-huit-litres.
    — Vous n’avez pas de concurrence, dis-je ingénument.
    — Taratata. Les vins espagnols et portugais font un bon
prix à Bercy. Je ne te parle pas de l’Algérie, battant d’année en année des
records de production sans être touchée par les deux véroles.
    — Tout se calme aujourd’hui ; les vignerons et les
tonneliers respirent à l’aise.
    Mon singe passa la main sur le sommet de son crâne dénudé en
me répondant :
    — Grâce à qui tu voudras !
     
    Mais le travail va prendre un autre rythme durant les
vendanges. On voit dans nos petites rues, sur les routes, des groupes d’hommes
et de femmes venant se louer. Ils parcourent les campagnes depuis les Landes,
la Saintonge accompagnés de leurs musiciens. Ce sont des jeunes gens et jeunes
filles aux solides épaules qui doivent porter les hottes et transporter les
baquets. Je remarque que les yeux des filles ne se baissent pas facilement et
je fixe charmé les yeux noisette de Louise. Elle est mince, gracile comme de
l’osier, courageuse. On ne résiste pas à son rire piquant. Cette année les
vendanges ont lieu du 20 au 30 septembre ; mais, déjà le 18, elle me
rejoignait d’elle-même dans mon petit lit de curé. Le claque de Saumur se
perdait dans le temps. Elle m’a donné des nuits fiévreuses, agitées, câlines.
Louise m’a appris « la femme », ses désirs, ses abandons, ses
exigences. J’aurais voulu goûter plus longtemps à ses grappes fermes, à la
douceur de sa pulpe, au velouté de son bourgeon. Tout a une fin. Louise me
quitte un matin ensoleillé. Je la vois partir heureuse, comme à son arrivée,
dans sa robe à trois sous, le bras levé criant : « au
revoir ! ».
    Mon singe vient me taper sur l’épaule et me dit :
    — Tu te souviendras des vendanges à
Saint-Esthèphe ?
    Je rougis comme un gamin pris la main dans une poche remplie
de sucreries.
    — Faut que je songe aussi à partir pour Bordeaux où
l’on m’attend, dis-je d’une voix

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