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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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Nous tombons d’accord tous les
quatre sur le salaire et nous mettons immédiatement au travail. Au bout de
trois semaines, la construction des escaliers se termine. Nous partons pour
Narbonne afin de les mettre en place. Au cœur de la plaine viticole, le vin
vaut trois sous le litre. La finition du travail exécutée, Minervois se montre
généreux. En route pour Béziers et Pezenas, Dhoste le Lyonnais nous réserve un
chaleureux accueil. Au souper je retrouve Lodeve qui avait passé les épreuves
de compagnonnage à Nantes avec moi. Nous décidons, d’un commun accord, de
rester sur place pour aider Dhoste sur son chantier des écoles à
Clermont-l’Hérault. Cette décision enthousiasme le singe. Durant trois
semaines, nous travaillons d’arrache-pied. Le soir, j’ai le temps d’écrire à ma
mère et à papa Rabier, en leur précisant que je vais gagner Marseille. Deux
semaines après nous marchons vers Agde. Puis une gabare nous emmène à Cette [27] . À Aigues-Mortes on vend de l’eau
potable à cinq centimes le litre tant elle est rare ! Écœurés mes amis et
moi décidons de gagner Marseille par bateau.
    En général, j’aime ce genre de locomotion. Mais par gros
temps ce n’est guère agréable. Nous vomissons tous pendant des heures. À
l’arrivée, on nous annonce une épidémie de choléra qui nous oblige à rester en
quarantaine. Mais le service de santé, monté à bord, ne nous immobilise que
quatre jours. Nous visitons la Cayenne qui se trouve rue Bernard Dubois. Quelle
joie de se retrouver entre Indiens ! Nous ripaillons comme des Gaulois.
Normand le Chanteur nous donne l’aubade, applaudi par des amis connus.
    Deux lettres de ma mère m’attendent. Je les déguste en
aparté. Papa Rabier m’a aussi écrit : il me prie de gagner Lyon pour
participer à la construction en dur des ponts Lafayette et Moran. Il ajoute à
sa lettre un mandat qui est le bienvenu. Quel homme merveilleux !
    En remontant en gabare le Rhône, je découvre des
merveilles : Après Arles la riche que je ne fais qu’entrevoir, nous
repassons à Avignon, Villeneuve, Roquemaure, avec, en face de
Chateauneuf-du-Pape : Pont-Saint-Esprit et Bourg-Saint-Andéol, Montélimar
et Valence, Tournon et Vienne, Givors et Lyon. À bord, par un temps splendide,
je me place à l’avant pour mieux balayer les rives de mon regard. Nous devinons
le sourire des laveuses derrière un signe de leur main. Les pêcheurs fixent
l’onde en espérant le poisson qui améliorera l’ordinaire. Des charrettes, des
diligences, des troupeaux se croisent sur les deux rives. Les oiseaux
s’appellent et se rencontrent parmi le chuchotement des peupliers. Mes yeux se
ferment : une harpiste promène allègrement ses doigts légers sur ses
cordes… je rêve ! Sitôt débarqués, nous nous dirigeons vers le chantier.
Présentement des passerelles en bois font office de pont tant à Lafayette qu’à
Moran. Lyon me semble une énorme bête dont les boyaux grouillent furieusement.
Au bureau j’apprends que le directeur n’est pas arrivé ; mais une très
longue lettre de Monsieur Rabier me donne toutes les instructions. Il se trouve
à Bordeaux où il termine la réception des travaux de Cubzac. Normand le
Chanteur commence immédiatement à monter des sonnettes ; les deux autres
construisent des baraques. Moi je prends possession des magasins déjà
installés. Je vérifie les marchandises apportées précédemment et dresse une
liste des manquants.
    Dans cette ville du savoir-vivre, nous mangeons comme des
dieux affamés et nous buvons comme des anges asséchés. Le premier soir, après
le dîner, je découvre des activités les plus diverses et profondes à la fois.
Cette grosse cité secrète m’offre, en certains quartiers, des surprises :
escaliers, cours, labyrinthes se succèdent parmi les industries et les
commerces variés. Les habitants, un peu tristes et distants, me font penser à
ces gros et braves chiens qui vous regardent longtemps avant de consentir à se
faire caresser. L’Église me semble toute puissante, arborant une morgue
condescendante nettement affichée. Ici l’argent se trouve dans des poches de
soie, passant de main en main comme un péché d’orgueil dans le plus grand
silence. Papa Rabier revient accompagné de son épouse Léontine, de meubles et
de dossiers ventrus. Il loue rue Mulet une grande maison de trois étages qu’il
me fait visiter.
    — Au rez-de-chaussée nous installerons nos
bureaux ;

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