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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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une très grande
bâtisse de trois étages jouxtant une galerie couverte. Au bord de la Seine,
presque à la hauteur de la tour Eiffel, s’érigent les pavillons du Portugal et
de l’Alimentation, côte à côte. Partout la fièvre demeure. Chaque nation a son
emplacement pour y réaliser sa présence dans le monde. Ici, jaillira une fontaine
monumentale face au dôme des Invalides ; là, on reconstituera une réplique
exacte d’une rue du Caire, plus loin on construira différentes maisons, huttes,
cases d’Afrique ou d’Asie. Le clou sera la fameuse « galerie des
Machines » et ses larges allées transversales de trente mètres de long.
Nous avalons comme des cannibales des matières appelées indifféremment :
bois, pierres, marbres, ciment, béton armé, ferrailles, cuivre, bronze, zinc et
que sais-je encore ?
    Oui ! Je crois que le centenaire de la Révolution
restera une grande date et un splendide anniversaire. Une question reste en
suspens : l’Allemagne y implantera-t-elle son pavillon ?
    Par deux fois, le soir, je vais à la Bourse du travail
écouter les orateurs. Il s’y déroule un combat entre partisans de Jules Guesde
et modérés.
    Je prends la parole et m’exprime avec force et vigueur. Il
faut avoir une voix forte pour couvrir les conversations, les cris, les
plaisanteries, les quolibets qui fusent de partout. Je sens, en quittant la
tribune, une main qui me tapote l’épaule et, en me retournant, je reconnais
L’Angoumois l’« avocat des pauvres ». Je me dispose à lui donner
l’accolade, mais il recule en me disant :
    — Dans quelques minutes nous pourrons sortir lors de la
suspension de séance ; nous serons plus tranquilles.
    Nous nous retrouvons dans le fond d’une salle de café où mon
coterie s’explique :
    — Tu comprends, Blois, que je ne pouvais pas
t’embrasser devant ces gueulards plus ou moins avinés ; ils n’auraient pas
compris ce geste alors que nous nous opposons dans nos interventions. Je crois
sincèrement que les beaux moments du compagnonnage vont vers leur extinction.
Intimement cela me peine ; mais en pratique c’est irréversible. Le
syndicalisme se doit de regrouper tous les travailleurs, les bons et les moins
bons, dans une union commune, de façon à ce que le patronat ne puisse continuer
à maintenir sa pression sur nos divisions. Un manœuvre terrassier, un ouvrier
d’usine, un vendeur de magasin, un mineur ne doivent plus se battre seuls pour
obtenir, quand on les laisse s’exprimer, des rognures d’augmentation de salaire
ou quelques minutes de travail quotidien en moins. Le patronat fait grise mine
car il a l’impression qu’il perd ses privilèges ancestraux.
    Je coupe L’Angoumois :
    — Mais nous autres compagnons, quelles que soient notre
famille et nos corporations : couvreurs, plâtriers, fondeurs… assurons une
qualité supérieure dans le marché du travail. Nous sommes recherchés
particulièrement, et, tu sais que nous défendons également les salaires, les
horaires, le suivi du secret de nos métiers que nous transmettons à des jeunes
qui, un jour, nous remplaceront.
    — Si, mon frère, tu as amplement raison ; mais tu
ne vois que tes propres avantages acquis, chèrement payés par les études, les
épreuves et le reste. En cette fin de siècle, nous nous devons de défendre les
faibles, les pauvres, les analphabètes qui ont, comme nous tous, besoin de
travailler et qui sont exploités parce qu’ils ne peuvent se défendre.
    — Tu réunis l’eau et le vin ça donne de la piquette,
L’Angoumois.
    — Au début oui, je le sais. Seulement, bien encadrés
par des gens comme nous et d’autres, unis la main dans la main, selon nos
principes, nous établirons une force constructive, positive, humaniste avec
laquelle le patronat devra compter. Tu les as entendus, tout à l’heure, ils
braillent parce qu’ils ne savent pas parler. Ils croient, dur comme fer, être
des révolutionnaires béats et libérés, alors qu’ils travailleront durement
jusqu’à leur mort. On ne peut pas les laisser hurler de telles billevesées.
Viens avec nous Blois, agis à mes côtés. Pense à l’homme tout seul, perdu,
balancé entre la famine et l’exploitation. Rappelle-toi les trois principes
fondamentaux des Droits de l’Homme : Liberté, Égalité, Fraternité. Tu te
crois un seigneur du travail parce que tu as appris et que maintenant tu sais.
Les esprits peuvent être différents, les besoins restent les

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