Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
Vom Netzwerk:
entendu la bagarre au bal.
    Puis je romps ce chapitre en enchaînant :
    — Demain soir, avec un peu de chance, je serai à Paris,
et après-demain au Champ-de-Mars pour l’exposition du centenaire.
    — On ira te voir après le chantier, mon drôle. Marianne
ne connaît pas la capitale. Ça nous fera un voyage de noces en décalé,
s’esclaffe-t-il.
    Nous nous quittons après qu’ils m’aient accompagné à
l’hôtel.
    — Merci, mon Monsieur l’inspecteur, lance en riant
Beauceron.
    — Bonne nuit à tous deux.
     
    En arrivant à Paris, je gagne le bureau de papa Rabier pour
lui faire mon rapport.
    — Tu as bien travaillé, me dit-il. Je passerai les voir
d’ici deux mois. En attendant viens souper avec moi et Balme. Je t’ai emprunté
à lui, je lui dois bien de le rembourser de sa gentillesse.
    Balme et papa Rabier, de bons amis, me rendent le repas très
agréable. Ils parlent de tout sans gêne devant moi. Parfois ils emploient des
expressions qui relèvent, non pas du compagnonnage, mais d’une autre essence.
J’écoute avec attention et brusquement, papa Rabier me dit à voix basse :
    — S’il t’intéresse un jour de fortifier tes
connaissances dans les domaines les plus divers, tu pourras toujours poser ta
demande dans une loge maçonnique.
    Balme ajoute :
    — Ne prends pas cette proposition pour une obligation.
Tu restes libre de ton choix et, si tu préfères attendre, voire même décliner
totalement cette offre, rien ne sera changé entre nous. Sache bien également,
Adolphe, que le fait d’être compagnon du Tour de France, ne t’entraîne pas
forcément à devenir franc-maçon. Beaucoup de frères ne veulent même pas en
entendre parler et sont farouchement contre. Nous nous devons de respecter
leurs idées.
    Je ne m’attendais pas à cette suggestion. Je reste coi,
rougis, tousse, me mouche ; bref me sens ridicule. J’arrive à répondre
presque en bégayant :
    — Mais je n’en suis pas digne… et puis, il y a le
service, et puis mes parents qu’il faut aider.
    Papa Rabier me vient en secours :
    — Chez nous, petit Blois, nous ne sommes attachés ni à
la fortune possédée ni aux valeurs que leur attribuent les autres. Seuls et
uniquement comptent l’esprit, le courage, la connaissance, la rectitude et la
discrétion.
    Balme renchérit :
    — Le plus souvent, nous nous cooptons, recherchant
celui qui possède l’esprit de droiture, de tolérance, d’aptitude au travail.
Nous ne devons pas passer dans un moule, mais conserver un naturel constant au
service de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Nous répondrons
toujours aux questions que tu nous poseras ce soir ou au cours de ta vie
future, avec plaisir.
    Notre conversation s’arrête, laissant le temps au garçon
d’apporter les desserts. J’en profite pour réfléchir et sens que ma décision
est prise ; mais je n’ose me lancer.
    Papa Rabier entame sa crème chantilly et déclare :
    — Léontine la fait encore plus moelleuse. Tu en as
mangé à la maison ?
    Cette nouvelle question me bloque. Je réponds
bêtement :
    — Oui, non… non je ne crois pas.
    — Tu es troublé, mon petit Blois ; il faut te
remettre. Goûte au moins ce que tu as devant le nez.
    — Nous ne sommes, Rabier et moi, ni des juges ni des
enrôleurs. Surtout pas. Mais chacun de nous, et d’autres également, t’ont jugé
depuis longtemps. Nous laissons la porte entrouverte. À toi de frapper quand tu
en éprouveras le désir.
    Balme change de sujet avec aisance et se met à parler des
travaux à exécuter en Cochinchine. Papa Rabier vise l’Algérie. Moi je les
écoute en rêvant de chaleur, de palmiers, d’animaux fabuleux. En réalité, mon
esprit se fixe sur la précédente conversation.
    — Si nous marchions un peu ? propose papa Rabier.
    Nous empruntons les boulevards animés par une foule de
« couche tard ». Des pauvres vendent sous les réverbères des fleurs,
des mirlitons, des journaux, des lacets. Nous nous quittons sur le boulevard
des Italiens et je rentre à pied jusqu’à ma chambre. Me voici seul et je n’ose
m’avouer : enfin ! Assis sur mon lit, je sens que le sommeil
s’insinue. Les nuits, comme les cimetières, ont faim de corps allongés et
d’yeux clos.

 
VII
    Je retrouve le Champ-de-Mars agité. Nos gars œuvrent à la
construction du pavillon des Indes anglaises. Commandé par les Britanniques, il
aura sa maison de thé. Nous édifierons, d’après les plans,

Weitere Kostenlose Bücher