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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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jours défilent comme les rares palmiers entrevus sur la
côte. L’escale à Djibouti, morceau de terre française depuis 1884, me permet de
découvrir une chaleur sèche provocante ; pour contrebalancer, nous vidons
quelques bouteilles de bière un peu tiède.
    — Je ne sais pas, me dit Louis, si je préfère la chaleur
d’un four à celle d’une étuve. Tu verras, Adolphe, tu rêveras de neige, de gros
manteaux de fourrure, de verglas sur lequel on peut faire des glissades. Après
cette halte rapide, ne regarde qu’à l’ouest, car l’est te donnera l’infini…
    Je quitte le pont et entraîne Louis au salon-bar où toutes
les fenêtres et hublots restent ouverts. Le courant d’air n’existe plus dans
cette partie du monde. Alors Baquet s’endort en ronflant. Je le quitte pour
regagner ma cabine. J’y relis mes notes et les commente pour moi :
« Deux tendances s’opposent au Zambèze : les Portugais rêvent sous
l’égérie de leur tête galonnée : Serpa Pinto. Celui-ci voudrait relier
l’océan Indien à l’Atlantique, c’est-à-dire occuper tout le large territoire
entre le Mozambique à l’est et l’Angola à l’ouest. Mais cet espoir est
contrarié par les Anglais. Cecil Rhodes considère que toute l’Afrique de l’Est
doit être britannique. Le travail de la « Chartered Cie », dont il
est le grand patron, a pour but de relier Le Cap au Caire par une longue, très
longue voie de chemin de fer, en n’ignorant pas qu’un obstacle se
présente : le fleuve Zambèze. Nous construirons donc, pour le franchir, un
immense pont capable de résister aux crues géantes. Où sont mes travaux de
Cubzac, Lyon, Saumur ? Des jouets à côté de ce chantier ! Dès mon
arrivée je devrai me méfier de tout et de tout le monde : les guerres
intestines entre les tribus, la végétation, les glissements de terre, les
crocodiles, les hippopotames. Éviter d’être piqué par la mouche tsé-tsé, agent de
transmission d’un protozoaire qui cause la maladie du sommeil, sans oublier le
paludisme, le choléra, les araignées et les serpents. Souvent, aussi, des coups
de feu ou des flèches empoisonnées s’échangent. Bref ! pas moyen d’aller
faire un petit tour après le travail pour se dégourdir les jambes. Les plaisirs
divers se limitent à la cantine, au club et au lit sous la moustiquaire !
Quant aux femmes, les possibilités sont très limitées. Nous devons observer une
prudence indispensable, sinon gare aux chaudes pisses ou à la syphilis. Alors
il reste l’alcool et le thé. Je ne connais pas le goût du second, mais je me
promets d’essayer. Si je conclus mon inventaire, le travail forcé représente le
dérivatif obligatoire. Dans quelle histoire me suis-je engagé ? Que ne
faut-il pas faire pour gagner de l’argent ? Qu’est-ce qui pousse les
hommes à vouloir augmenter leur territoire très loin de leurs frontières
propres ? Louis m’a parlé de l’or. Ce métal jaune fera damner le monde.
L’Afrique en possède surtout dans le Sud et le Centre. Les Portugais, comme les
Espagnols, après avoir éventré l’Amérique du Sud, se sont retournés vers la
route des Indes et de l’Orient, comme l’avaient fait les Anglais et les
Français. Le port de Lourenço Marques, placé magnifiquement dans une baie en
eaux profondes, au sud du pays, devient le grand point de ralliement des
flottes marchandes du monde entier. Les États européens réunis à Berlin en
1884-85 ont voulu partager l’Afrique. Les pays ayant des établissements sur les
côtes ont acquis des droits sur l’arrière-pays. Je m’explique mieux les
rivalités anglo-portugaises auxquelles s’ajoutent les vues allemandes à
l’intérieur du Zanzibar. Cet entourage risque encore de faire monter la
température. La découverte de cette Afrique me passionne en réalité, mais
comment tout cet amalgame se concrétise-t-il sur place ? Comment vivrai-je
ces tiraillements politico-économiques ? Ma santé n’en prendra-t-elle pas
un coup ?
    En longeant la corne de l’Afrique une tempête nous surprend.
Mon pied n’est toujours pas marin. Je reste enfermé dans ma cabine essayant en
vain de vomir. Baquet, venu me voir, m’oblige à boire de l’eau. Le soir tout se
calme et je retrouve une faim de loup. Les semaines passent entre roulis et
tangage. Nous franchissons l’Équateur, « la ligne » comme on a
coutume de l’appeler. Une fête a lieu à bord, je me laisse chahuter avec le
sourire. Enfin

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