La canne aux rubans
m’avoue-t-elle en aparté.
— J’y réfléchirai, petite sœur. Je trouverai sûrement
quelque part une solution.
De temps à autre j’observe mon gros Ours. La joie qu’il a de
me revoir semble empreinte d’un sérieux, de silences que je ne pouvais
imaginer. De temps à autre il est sujet à des regains d’explosions, mais ses
« mille Dieux » deviennent plus rares, plus dosés. Il rit,
s’esclaffe, avec moins de fougue et de bruit. Mon gros Ours aurait-il pris un
coup de vieux ? Beauceron ne boit plus que quatre litres de vin par jour. Pour
lui, c’est le régime ! Son cœur reste toujours aussi gros. Il me parle de
mon père, de ma mère, en laissant couler une larme, puis il se réjouit de mes
aventures espagnoles. Je tais la mort de Toulouse le Riche ne voulant pas
gâcher la joie de nos retrouvailles. Tout en nous baladant, je lui dis, sans
m’appesantir sur les mots :
— Tu vas encore trimarder longtemps, mon coterie ?
Il remue la tête, hésitant sur sa réponse, puis se
lance :
— Oh ! tu sais, faut voir. Il n’empêche que si je
pouvais faire un truc plus calme, je ne dirais pas non. De temps à autre, on
aimerait bien, La Marianne et moi, sans nous reposer, travailler moins dur.
L’hiver ici c’est pas de la gnognote et l’été on cuit sur place. Ça ne vaut pas
notre Loire, mon petit drôle. On verra tout ça plus tard.
Marianne me jette un coup d’œil ; nous nous sommes
compris. Je les quitte et reviens à Paris. Mon projet avance et monsieur Maur
semble satisfait. Il m’invite à dîner ; nous parlons de nos vieux amis.
Brusquement il m’annonce :
— Sais-tu que les Anglais recherchent un responsable
français dans ton genre pour diriger des travaux importants sur le
Zambèze ?
Mon étonnement le fait rire. Il continue :
— Ne sois pas trop surpris. Je sais qu’ils paient
bien-même très très bien. Il s’agit de séjours d’un an, puis retour en Europe
et deux mois de vacances. Les bureaux siègent à Paris. On doit supporter un
climat très dur, bref seuls les gars comme toi, de ton acabit peuvent résister.
Arnodin n’a rien à te proposer, dis-moi ?
— Nous nous sommes quittés en excellents termes, mais
il n’a plus pour l’instant de grands chantiers. Et puis sa femme, la Charlotte,
a fait toute une histoire au sujet de mon salaire à Portugalete. Il vaut mieux
que je reprenne mon indépendance.
— Bien, et mon idée du Zambèze ? Ça te
dirait ?
— Il faut avoir tué père et mère pour partir là-bas. Je
ne parle ni la langue du pays, ni l’anglais !
— Tu ne savais pas un mot d’espagnol, non plus !
— Oui, je le reconnais. Je demande à réfléchir. Après
tout, seule la paye compte. Ma santé demeure florissante. En ce moment je me
repose chez vous.
Maur s’amuse de ma réflexion et me renvoie :
— Si tu ne fais que rigoler, je vais te demander de me
payer, ce sera plus logique.
Nous nous esclaffons en chœur.
VIII
Le soir, dans ma chambre, je fouille le fond d’une de mes
malles. J’y trouve un livre de géographie et découvre le Zambèze : un
fleuve énorme, très long qui se jette dans l’océan Indien. D’après les
explications et les commentaires très courts, je comprends qu’une partie de cet
immense territoire appartient au Portugal avec Lourenço Marques comme grand
port et capitale au sud. Les Anglais se trouvent à l’ouest en Zambèzie qui
devient actuellement la Rhodésie, ainsi qu’en Afrique du Sud. Tout reste assez
confus dans ce coin du monde, les frontières ne semblent pas délimitées et la
forêt envahit tout. On m’indique qu’il pleut six mois de l’année et qu’il fait
des températures de plus de 40°. Je commence à comprendre pourquoi un Européen
ne peut y rester d’une façon permanente. La générosité de la compagnie
« british » devient plus compréhensible. Peu à peu dans mon esprit
les idées se mettent vaguement en place. Il faudra que dans un mois je prenne
rendez-vous afin de m’entretenir avec un représentant de la « Chartered
Cie ». Une lettre de papa Rabier me parvient. Submergé de travail, il
m’invite à le rejoindre, me précisant même les émoluments et me parlant du
Sénégal, du Maroc, etc. Léontine ajoute à la fin de la lettre : « je
vous embrasse mon cher Adolphe, nous vous attendons. » Pour prendre une
décision, il faut avoir tout en main et je manque de renseignements au sujet de
l’autre proposition. Les
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