Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
Vom Netzwerk:
Beauté, mon frère Adolphe.
    — Liberté, Égalité, Fraternité, à tous ceux que je
quitte.
    Nous sommes très émus l’un et l’autre. J’écris à ma mère
pour lui expliquer ce que j’ai décidé. J’adresse une lettre à papa Rabier et
Léontine, ainsi qu’une à mon vieil Ours et Marianne. Peut-être qu’à la suite
d’une paresse morale qui s’infiltre comme un ru entre deux pierres naît la
stupidité. Mon esprit ne me semble plus à sa vraie place, celle où j’ai l’habitude
de le trouver. Le goût sucré de l’aventure, de la liberté, qui m’a animé
jusqu’à présent passe à l’amertume. Quelle sensation bizarre ! Alors
presque instinctivement ma main va quérir le remède. Mes doigts se posent sur
ma canne de compagnon. Ses rubans caressent mon avant-bras. Une chaleur douce
et profonde m’envahit. Je conjure le sort et très lentement la quiétude renaît.
La magie des ondes bienfaitrices repousse les brumes de la peur.
    J’occupe les jours suivants à mille détails de classement, d’habillement,
de bagages. J’ai décidé d’emporter le strict minimum dans deux valises et une
malle en fer. Lecourtois reçoit quelques papiers, lettres et objets auxquels je
tiens, charge à lui de les remettre à ma mère s’il m’arrivait quelque chose. Je
laisse mes métaux à la porte du Temple, comme on le dit à ma loge :
Travail et vrais amis fidèles. J’emporte quelques médicaments classiques et des
livres. Les uns protégeront le corps, les autres l’esprit. Ma mère m’écrit une
longue lettre farcie de conseils et joint une photographie de toute la famille.
Je partirai avec eux. Ils m’aideront par la pensée.
    Le train du PLM m’emmène à Marseille où le bateau attend.
Nous traversons une Méditerranée d’huile, puis nous nous présentons devant le
canal de monsieur de Lesseps. Je passe la majeure partie de mon temps sur le
pont pour observer cette œuvre gigantesque et rectiligne de 161 kilomètres de
long et de 40 à 100 mètres de large, qui utilise la dépression naturelle de
trois lacs. Je trouve la nourriture à bord quelconque, ma cabine petite, mais
suffisante. Un homme se tient souvent devant le bar. Je crois le reconnaître,
mais je ne peux le situer dans le temps. Un soir nous nous retrouvons l’un près
de l’autre. Spontanément il se présente à moi.
    — Louis Baquet. Il me semble vous avoir vu quelque
part… ne serait-ce pas à Angers ?
    — Diable ! dis-je tout surpris, je suis Adolphe
Bernardeau. Je me souviens maintenant. En effet à l’école préparatoire
d’Angers. Quelle bonne surprise !
    La conversation s’engage. Mon condisciple présente un ventre
énorme. Sa tête possède autant de poils qu’un caillou. Je comprends alors
pourquoi je ne le reconnaissais pas. Il m’apprend qu’il fait partie de la
« Chartered Cie » et exécute des travaux sur le Zambèze à Vila de
Sena.
    — J’entame mon troisième séjour. La vie te semblera
dure, tu sais ! Sur deux mois de congé j’en passe un à Vichy, tellement
j’ai besoin de me décrasser l’intérieur.
    Je le laisse parler, l’écoutant avec grand intérêt. Durant
toute la traversée, il m’entretient de géologie, géographie politique,
hydrographie, mœurs, coutumes, population, travail, indigènes, vie quotidienne.
Je constate que tout ne sera pas rose, mais très épineux. De temps à autre, il
emploie des termes anglais que je lui demande de traduire.
    — Tu ne parles pas « l’albionite » fit-il en
riant. Tu t’y mettras. La difficulté consiste en la présence, dans ce coin, de
langues diverses : portugaise, anglaise, allemande et de quelque trente
dialectes locaux, plus du chinois, de l’hindou, de l’arabe. En définitive, avec
deux cents mots de chaque langue, on peut se faire comprendre. En revanche, il
faut que tu apprennes bien l’anglais car les ordres, les plans, les notes
viennent de Londres ou Johannesburg. Je t’aiderai, ne crains rien.
    Nous passons tout le reste du voyage ensemble. La nuit, je
prends des notes sur ce qu’il m’a appris pour bien fixer les points les plus
importants et par la suite les vérifier sur place. À Angers, Louis et moi
n’avions que peu de rapport, mais sa curiosité boulimique m’avait frappé. Ce
grand jeune homme maigre, à la chevelure bien fournie ressemblait à une image
du passé. Je souris en pensant à mon voyage en bateau de La Rochelle à
Bordeaux. Quelle différence ! Quelle opposition !
    Les

Weitere Kostenlose Bücher