La case de L'oncle Tom
répondit, d’un ton pensif, miss Ophélia, il y a du vrai dans ce que vous dites.
– Que deviendrait l’humble et le pauvre sans les enfants ? reprit Saint-Clair, revenant au balcon et montrant Éva, qui gambadait auprès de Tom. L’enfant est le seul vrai démocrate. Tom, en ce moment, est un héros pour Éva ; ses histoires lui paraissent merveilleuses ; ses hymnes et ses chants méthodistes, plus beaux qu’un opéra ; les petites amorces et autres babioles, qui emplissent ses poches, une mine féconde de joyaux ! Il est à ses yeux le plus merveilleux Tom qu’une peau d’ébène ait recouvert ! – Éva est une de ces fleurs du ciel envoyées par Dieu, surtout pour le pauvre et pour l’humble, qui, sur terre, ont si peu d’autres joies !
– C’est singulier, cousin, à vous entendre parler on vous prendrait presque pour un prédicant .
– Un prédicant ? se récria Saint-Clair.
– Oui, pour un prédicant religieux.
– Ah ! certes non ; et, en tous cas, pas pour un de vos prédicants en vogue ; et ce qu’il y a de plus triste, pas pour un pratiquant , à coup sûr.
– Pourquoi donc alors parlez-vous ainsi ?
– Rien de plus facile que de parler. Shakespeare, je crois, fait dire à un de ses personnages : « Il me serait plus aisé d’enseigner à vingt disciples ce qu’il est bon de faire, que d’être un des vingt. » Il n’est rien de tel que la division du travail. Ma verve passe en paroles, cousine ; la vôtre, en actions. »
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* *
À cette époque, la situation extérieure de Tom n’était pas, selon le monde, celle d’un homme à plaindre. Dans sa prédilection pour lui, et poussée aussi par l’instinct d’une noble nature reconnaissante et affectueuse, la petite Éva avait prié son père d’attacher Tom à son service personnel, pour l’escorter pendant ses promenades à pied ou à cheval. Tom avait donc reçu l’ordre formel de tout quitter pour se mettre à la disposition de miss Éva ; ordre qui, comme nos lecteurs l’imaginent, fut loin de lui déplaire. Sa mise était soignée, Saint-Clair étant sur ce chapitre scrupuleux jusqu’à la minutie. Son service d’écurie, vraie sinécure, consistait simplement à inspecter et diriger tous les jours un palefrenier. Marie Saint-Clair avait déclaré qu’elle ne pouvait souffrir l’odeur des chevaux, et que ceux de ses gens qui l’approchaient ne devaient être employés à aucun service désagréable. Son système nerveux ne supporterait pas une pareille épreuve. La moindre mauvaise odeur, à son dire, la pouvait tuer, et terminer d’un seul coup tous ses tourments terrestres. Tom avec son ample habit, son chapeau bien brossé, ses bottes luisantes, son col et ses manchettes d’un blanc irréprochable, sa grave et bonne figure noire, eut pu paraître digne d’être évêque de Carthage, comme le furent en d’autres temps des hommes de sa couleur.
Il habitait une somptueuse résidence ; considération à laquelle cette race impressionnable n’est jamais indifférente. Il jouissait, avec un bonheur calme et recueilli, de la lumière, des oiseaux, des fleurs, des fontaines, des parfums qui embellissaient la cour, des tentures de soie des tableaux, des lustres, des statues, des lambris dorés, qui faisaient pour lui, de la suite de ces riches salons, une espèce de palais d’Aladin.
Si jamais l’Afrique se civilise et s’élève – et son tour de figurer dans le grand drame du progrès humain arrivera en son temps – la vie s’éveillera chez elle avec une splendeur, une surabondance, qu’à peine peuvent concevoir nos froides tribus de l’Occident. – Sur cette terre lointaine et mystérieuse, fertile en or, en pierreries, en myrtes, en palmiers aux feuilles ondoyantes, en fleurs rares, surgiront des arts nouveaux, d’un style neuf et splendide. Et cette race noire, si longtemps méprisée et foulée aux pieds, donnera peut-être au monde les dernières et les plus magnifiques révélations de la puissance humaine. En tous cas, elle sera, – par sa douceur, son humble docilité d’âme, sa confiance en ses supérieurs, son obéissance à l’autorité, son enfantine simplicité de tendresse, son admirable esprit de pardon, – elle sera certainement la plus haute expression de la vie chrétienne . Et peut-être, comme Dieu châtie ceux qu’il aime, peut-être n’a-t-il précipité la pauvre Afrique dans la fournaise de l’affliction, que pour la rendre la plus noble,
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