La case de L'oncle Tom
nerveuse, mais ces choses-là m’entrent dans le cœur .
– Que veux-tu dire, Éva ?
– Je ne sais pas l’expliquer, papa. Je pense beaucoup, beaucoup de choses ! Je vous les dirai peut-être un jour.
– Eh bien, pense tant que tu voudras, ma chérie, – mais surtout ne pleure pas, et ne tourmente pas papa, dit Saint-Clair. Regarde ! quelle belle pêche j’ai cueillie pour toi ! »
Éva la prit et sourit, quoique les coins de sa bouche fussent encore agités d’un tressaillement nerveux.
« Allons voir les poissons dorés, » ajouta-t-il en lui donnant la main ; et ils se dirigèrent vers la véranda.
Peu de moments après, on entendait de joyeux rires derrière les courtines de soie ; Éva et Saint-Clair, courant l’un après l’autre dans les allées du jardin, se lapidaient avec des roses.
*
* *
Entraînée par les aventures de gens du monde, peut-être avons-nous trop négligé notre humble ami Tom. Mais si le lecteur veut bien nous suivre dans une petite soupente, au dessus de l’écurie, nous le remettrons au courant. C’est une chambrette propre, contenant un lit, une chaise et une grossière petite table, sur laquelle est posée la Bible de Tom, auprès de son livre d’hymnes ; il est assis devant, et, penché sur son ardoise, il s’applique, de toutes ses forces, à une chose qui semble lui causer une grande anxiété.
Le fait est que les aspirations de Tom vers sa case étaient devenues si fortes, qu’il avait demandé à Éva une feuille de papier. Rassemblant tout le petit fonds de savoir littéraire qu’il devait aux instructions de Georgie, il avait conçu l’idée audacieuse d’écrire tout seul à tante Chloé, et il s’essayait à faire un brouillon sur son ardoise. Il y était fort empêché, car il avait complètement oublié la forme de certaines lettres, et il ne savait trop comment se servir de celles qu’il se rappelait. Tandis qu’il travaillait et que, dans son labeur, il respirait haut et péniblement, Éva se percha comme un oiseau sur le dossier de sa chaise, et regarda par dessus son épaule.
« Oh ! oncle Tom, quelles drôles de petites choses vous faites-là !
– Je tâche d’écrire à ma pauvre chère femme, miss Éva, et aux petits, dit Tom, passant le revers de sa main sur ses yeux : mais j’ai peur de pas en venir à bout.
– Si je vous aidais, Tom ? J’ai appris à écrire un peu. L’année dernière je savais faire toutes les lettres, mais j’ai peur aussi d’avoir oublié. »
Éva mit sa petite tête dorée à côté de celle de Tom, et tous deux entamèrent une grave discussion, chacun également plein de zèle et d’ignorance. Après s’être consultés et avoir pesé chaque mot, la composition commença, grâce à leur ardente bonne volonté, à ressembler presque à de l’écriture.
« Oui, oncle Tom, c’est tout à fait joli à regarder ! dit Éva ; elle contempla le griffonnage d’un air ravi. Comme votre femme va être contente et vos pauvres petits enfants ! C’est pitié qu’on vous les ait fait quitter. Je demanderai à papa de vous laisser retourner là-bas.
– Maîtresse a dit qu’elle enverrait l’argent pour me racheter dès qu’elle pourrait, dit Tom, et j’espère que ça ne tardera pas. Il y a aussi le jeune maître, massa Georgie, qui a promis de venir me chercher ; et il m’a donné pour gage le dollar que voilà ! » Tom tira la précieuse petite pièce de dessous ses habits.
« Oh ! alors il viendra, bien sûr ! dit Éva. Que je suis donc contente !
– Je voulais leur envoyer une lettre, voyez-vous, miss Éva, pour leur faire savoir où je suis, et dire à pauvre Chloé que je me trouve bien ; elle avait pris la chose si fort à cœur, pauvre âme ! »
« Tom ! » C’était la voix de Saint-Clair qui appelait ; au moment même il parut à la porte.
Tom et Éva tressaillirent.
« Qu’est ceci ? dit Saint-Clair en s’approchant et regardant l’ardoise.
– C’est la lettre de Tom. Je lui aide à l’écrire, dit Éva. N’est-ce pas qu’elle est bien ?
– Je ne voudrais pas vous décourager tous deux, reprit Saint-Clair ; mais je crois, Tom, qu’il vaudra mieux que j’écrive la lettre pour toi ; et c’est ce que je ferai à mon retour de la promenade.
– Il est très-important qu’il écrive, s’écria Éva, parce que, vous saurez, papa, que sa maîtresse va envoyer de l’argent pour le racheter. Il m’a dit qu’on le lui avait
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