La case de L'oncle Tom
je suis pour sûr la plus méchante des méchantes créatures du monde ! »
Là-dessus Topsy faisait la cabriole, montait d’un cran plus haut sur son perchoir, et se rengorgeait, glorieuse de tant de distinction.
Tous les dimanches miss Ophélia, avec une fervente gravité, faisait réciter à Topsy son catéchisme. L’enfant avait la mémoire des mots, et répétait avec une facilité qui encourageait l’institutrice.
« Quel bien voulez-vous que cela lui fasse ? demanda Saint-Clair.
– Mais le catéchisme a toujours été bon aux enfants ; c’est ce qu’ils apprennent, vous le savez bien, répondit miss Ophélia.
– Qu’ils le comprennent ou non ? insista Saint-Clair.
– Oh ! ils ne le comprennent jamais tout d’abord ; mais, à mesure qu’ils grandissent, cela leur revient.
– Le mien ne m’est pas encore revenu, et, pourtant, je le reconnais hautement, cousine, vous me l’aviez appris à fond quand j’étais petit.
– Ah ! vous étudiiez à merveille, Augustin ; vous étiez un enfant de grande espérance.
– Les ai-je démenties, cousine ?
– Je voudrais, Augustin, que vous fussiez aussi bon, maintenant, que vous étiez excellent alors.
– Moi aussi, cousine. Ainsi donc, courage, et continuez de catéchiser Topsy à cœur joie ; nous verrons ce qui en adviendra. »
L’objet du colloque, resté debout, les mains pieusement croisées comme une petite statue de bronze, poursuivit alors d’une voix claire, sur un signe de miss Ophélia :
« Nos premiers parents, abandonnés à leur propre volonté, tombèrent de l’état où Dieu les avait créés… »
Les yeux de Topsy scintillèrent de curiosité.
« Qu’y a-t-il, Topsy ? dit miss Ophélia.
– Si vous plaît, maîtresse, c’est-il pas l’État du Kintuck [36] ?
– Comment, Topsy, quel État ?
– C’t état d’où ils sont été tombés ! – Maît’ disait com’ça que nous étions venus du Kintuck ? » Saint-Clair partit d’un éclat de rire.
« Si vous ne lui donnez des explications, elle s’en fera, dit-il ; je vois poindre là toute une théorie d’émigration.
– De grâce, Augustin, taisez-vous. Comment puis-je arriver à quelque résultat, si vous raillez sans cesse ?
– Eh bien, d’honneur, je ne troublerai plus vos exercices. » Et Saint-Clair, prenant les journaux, s’assit au salon jusqu’à ce que Topsy eût fini de réciter. Elle répétait fort bien ; seulement de temps à autre elle transposait, de la façon la plus comique, quelques mots importants, et persistait dans l’erreur, quoique fréquemment redressée. En dépit de toutes ses promesses d’être sage et muet, Saint-Clair, qui prenait un malin plaisir à ces méprises, appelait à lui Topsy lorsqu’il voulait se divertir un peu, et, bravant les remontrances de miss Ophélia, lui faisait redire les passages scabreux.
« Comment voulez-vous que je fasse quelque chose de l’enfant, si vous vous y prenez de la sorte, Augustin ! s’écriait la cousine.
– Là, c’est très-mal, – je n’y reviendrai plus ; mais c’est si amusant d’entendre la drôle de petite image trébucher sur ces grands mots !
– Vous la fortifiez dans ses fautes.
– Qu’importe ! pour elle, un mot vaut l’autre.
– Vous désirez que je l’élève bien : vous devriez alors vous rappeler que c’est une créature raisonnable, et user sagement de votre influence sur elle.
– Oh ! tragique ! Oui, cousine, je devrais ! – Mais, comme le dit Topsy d’elle-même, – je suis si méchant ! »
L’éducation de la petite négresse se continua sur ces errements pendant une ou deux années. La persécution journalière de miss Ophélia était devenue pour elle une sorte de mal chronique, auquel Topsy se faisait, ainsi que d’autres s’habituent à la migraine ou à la névralgie. Saint-Clair s’amusait de l’enfant comme d’une perruche ou d’un chien d’arrêt, et lorsque les sottises de Topsy l’avaient fait tomber en disgrâce, elle savait fort bien se réfugier derrière la chaise du maître, qui, de façon ou d’autre, faisait sa paix. Elle tirait aussi de lui, de temps en temps, de petites pièces de menue monnaie, bien vite échangées contre des noix et du sucre candi, qu’elle distribuait ensuite avec une insouciante libéralité à tous les négrillons de la maison ; car, pour rendre justice à Topsy, elle était généreuse et d’un bon naturel. Ses rancunes, ses
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