La case de L'oncle Tom
n’appartient à l’enfance, n’espérez pas retenir l’être chéri. Il est marqué du sceau divin, et l’immortalité rayonne dans son œil.
Ainsi de toi, Éva la bien-aimée, étoile radieuse de ton logis ! tu vas t’éclipser, et ceux qui t’aiment le plus, hélas ! s’en doutent peu.
Le dialogue d’Éva et de Tom fut interrompu par les appels répétés de miss Ophélia.
« Éva ! Éva ! Allons donc, enfant ! le serein tombe ; vous ne devriez pas être dehors. »
Éva et Tom se hâtèrent de rentrer.
Miss Ophélia n’était plus jeune, et son expérience de garde-malade avait été longue. Née à la Nouvelle-Angleterre, elle ne connaissait que trop la marche perfide de ce mal insidieux qui moissonne les plus beaux, les plus aimés, et qui les marque de l’irrévocable sceau de la mort, avant que la moindre fibre de vie paraisse atteinte. Elle avait remarqué cette toux légère et sèche, ces joues plus brillantes de jour en jour. L’éclat de l’œil, l’agitation fébrile des mouvements ne pouvaient lui faire illusion.
Elle essaya de communiquer ses inquiétudes à Saint-Clair, mais il les rejeta bien loin, avec une impatience nerveuse, toute différente de sa nonchalance habituelle.
« Oh ! trêve aux croassements, cousine, je les ai en horreur ! Ne voyez-vous pas que l’enfant grandit ? – Il n’y a pas, au moment de la croissance, jeune fille qui ne maigrisse.
– Mais cette toux !…
– Sottises ! la toux ! – ce n’est rien ; – un léger rhume, peut-être.
– Mais, c’est justement ainsi que cela commença pour la pauvre Éliza Jane, et pour Hélène, et pour Maria Sanders…
– Oh ! faites-nous grâce des listes funéraires et des contes de revenants. Vous devenez si prévoyantes et prédisantes, vous autres matrones, qu’un enfant ne saurait éternuer ou s’éclaircir le gosier, que vous n’évoquiez le désespoir et la ruine. Prenez seulement soin d’elle ; préservez-la de l’air du soir, ne la laissez pas trop jouer, et elle se portera à merveille ! »
Ainsi parlait Saint-Clair, mais il était nerveux, agité ; il surveillait Éva avec une sollicitude fébrile, que laissaient percer de continuelles affirmations : « L’enfant allait bien, – très-bien ; – ce n’était rien que cette toux ; – elle venait de l’estomac ; – il n’y avait pas d’enfant qui n’y fût sujet. » Il disait, mais ses yeux ne quittaient plus Éva. Il voulait qu’elle l’accompagnât à cheval dans ses promenades ; il apportait sans cesse pour elle des pâtes, des recettes, des mets fortifiants. – « Non qu’elle en ait le moindre besoin, répétait-il, mais cela ne lui fera toujours pas de mal. »
S’il le faut dire, ce qui navrait ce cœur paternel, c’était la maturité croissante de l’âme et des pensées d’Éva. Sans rien perdre de ses grâces enfantines, elle laissait tomber parfois des mots si profonds, des aperçus d’une telle portée, qu’ils ressemblaient à l’inspiration. Alors Saint-Clair tressaillait ; il la serrait entre ses bras, comme si l’étreinte passionnée avait pu la sauver ; et d’énergiques, de frénétiques résolutions de la conserver, de ne jamais se séparer d’elle, gonflaient sa poitrine.
L’âme et le cœur de l’enfant semblaient absorbés dans des œuvres de bienfaisance et d’amour. Généreuse, elle l’avait toujours été d’instinct, tandis qu’aujourd’hui on remarquait en elle je ne sais quoi de féminin, de sensible, qui dépassait son âge. Elle aimait encore à jouer avec Topsy, avec les autres enfants de toute nuance ; mais, spectateur plutôt qu’acteur, elle restait assise des demi-heures entières à rire des espiègleries de Topsy ; – puis soudain, une ombre passait sur son doux visage, son œil se troublait, et sa pensée errait au loin.
« Maman, dit-elle un jour tout à coup à sa mère, pourquoi ne pas enseigner à lire à nos esclaves ?
– Belle question, enfant ! Personne ne le fait.
– Pourquoi non ? insista Éva.
– Parce que la lecture ne leur serait bonne à rien. Elle ne leur enseignerait pas à travailler, et c’est pour cela qu’ils sont faits.
– Pourtant, ne faut-il pas qu’ils lisent la Bible pour connaître la volonté de Dieu ?
– Oh ! ils n’ont qu’à se faire lire le peu dont ils ont besoin.
– Mais, maman, il me semble que la Bible c’est le livre de tous ? chacun doit le pouvoir lire. Souvent ils en
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