La case de L'oncle Tom
auraient tant d’envie, et il ne se trouve personne pour les aider !
– Quelle drôle d’enfant vous faites, Éva !
– Miss Ophélia a bien enseigné à lire à Topsy, continua l’enfant.
– Oui ; citez-la, je vous le conseille ! La science lui a merveilleusement profité. Topsy est bien la plus mauvaise petite créature que j’aie jamais vue.
– La pauvre Mamie, persista Éva, elle qui aime sa Bible comme ses yeux ! serait-elle heureuse de pouvoir la lire ! Lorsqu’elle ne m’aura plus là, comment s’y prendra-t-elle ? »
Marie continuait de bouleverser un tiroir, tout en répondant :
« Le temps viendra, c’est clair, où vous ne pourrez plus lire la Bible à tous nos esclaves, à tour de rôle, – non que je vous en blâme, je faisais de même, lorsque j’avais un peu plus de santé ; – mais après votre entrée dans le monde, quand il faudra s’habiller, recevoir et rendre des visites, vous n’en trouverez plus le temps. – Regardez, ajouta-t-elle, voici les bijoux que je vous donnerai alors. Je les portais à mon premier bal, – et, je puis vous l’assurer, Éva, je fis sensation. »
Éva prit l’écrin, souleva une rivière de diamants, et demeura rêveuse, ses grands yeux fixés sur le collier, et sa pensée voyageant au loin.
« Quelle mine sage et discrète, enfant !
– Maman, cela vaut-il beaucoup, beaucoup d’argent ?
– Je crois bien ! Mon père avait fait acheter ces brillants à Paris ; à eux seuls c’est une fortune !
– Je voudrais bien les avoir à moi et pouvoir en faire ce qui me plairait ! dit Éva.
– Et qu’en feriez-vous ?
– Je les vendrais ; j’achèterais une terre dans les États libres, j’y mènerais tous nos esclaves, et je payerais des maîtres pour leur enseigner à lire et à écrire. »
Elle fut interrompue par un éclat de rire de sa mère.
« À merveille, vous ouvririez école ; et j’espère que vous leur montreriez aussi à jouer du piano, à peindre sur velours ?…
– Je leur apprendrais à lire leur Bible, à écrire leurs lettres, à lire celles qu’on leur écrit, dit Éva avec assurance. Je sais, maman, qu’il est très-dur pour eux de ne pouvoir rien faire de tout cela. – C’est un chagrin pour Tom, – pour Mamie, pour d’autres encore ; – et puis maman, je pense que c’est mal.
– Allons, allons, Éva ; vous n’êtes qu’une enfant ! vous ne comprenez mot à tout cela, dit Marie, et votre babil me casse la tête. »
La migraine était toujours aux ordres de Marie des que la conversation prenait un tour qui ne lui allait pas. Éva se retira tout doucement ; mais, à partir de ce jour, elle donna assidûment à Mamie des leçons de lecture.
CHAPITRE XXIV
Henrique.
Vers ce temps, Alfred, le frère de Saint-Clair, vint, avec son fils, garçon âgé de douze ans, passer un ou deux jours à la maison du lac, dans la famille de son frère.
L’aspect de ces jumeaux réunis avait, à la fois, quelque chose de beau et d’étrange. La nature, en les formant, s’était complu de tous points à créer, au lieu de ressemblances, de frappantes oppositions, et pourtant un lien mystérieux semblait resserrer leur amitié fraternelle.
Bras dessus, bras dessous, ils erraient dans les allées du jardin, en haut, en bas, partout ; Augustin, avec ses yeux bleus, ses cheveux d’or, ses formes souples et élégantes, ses traits animés, expressifs ; Alfred, avec ses noirs, son profil romain, hautain, inflexible, ses membres fortement articulés, et son ferme maintien. Sans cesse ils s’attaquaient mutuellement sur leurs opinions, leurs habitudes, leurs actes, et n’en étaient pas moins absorbés dans la société l’un de l’autre, comme si, pour les unir, la contradiction eût joué entre eux le rôle que l’attraction remplit entre les pôles opposés de l’aimant.
Henrique, le fils aîné d’Alfred, noble garçon, aux yeux noirs, à la tournure de prince, rempli d’ardeur et de vivacité, avait à peine vu sa cousine Évangeline que déjà il était fasciné par la grâce toute céleste de l’enfant.
Le poney favori d’Éva, doux comme elle, d’une blancheur de neige, et d’une allure à la bercer mollement, venait d’être amené par Tom à l’arrière-véranda, tandis qu’un mulâtre, d’environ treize ans, y conduisait le petit cheval noir arabe, importé depuis peu, à grands frais, pour Henrique.
Fier comme un jeune garçon de sa nouvelle monture,
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