La case de L'oncle Tom
abondaient les plantes pittoresques, les superbes fleurs des tropiques ; plusieurs sentiers ondulaient au milieu de cette magnifique végétation, et conduisaient jusqu’au bord du lac, dont la nappe argentée s’élevait et s’abaissait sous les rayons du soleil : – aspect admirable, et qui, sans cesse varié, paraissait toujours plus beau !
Le soleil à son déclin enflammait l’horizon ; le lac semblait un autre ciel rayé de rose et d’or que traversaient, comme autant d’angéliques esprits, les blanches ailes des navires. S’éveillant au sein de cette gloire de pourpre, de petites étoiles commençaient à scintiller, et regardaient frémir leur faible image à la surface des eaux. Là, sous le berceau au bord du lac, par une belle soirée de dimanche, Éva et Tom s’étaient assis sur un tertre de mousse ; la Bible d’Éva était ouverte sur ses genoux, elle lut :
« Après cela, l’ange me fit voir un fleuve d’eau vive clair comme du cristal, et qui sortait du trône de Dieu… »
« Tom, dit Éva s’arrêtant tout à coup et montrant le lac : le voilà !
– Quoi, miss Éva ?
– Ne le voyez-vous pas ? – là ! répéta l’enfant, montrant les eaux transparentes, et les vagues qui reflétaient la pourpre et l’or du ciel.
– C’est vrai, miss Éva, dit Tom ; et Tom chanta :
Que l’aube me prête ses ailes,
Qu’un ange me tende la main,
Afin qu’aux rives éternelles,
Vers la Jérusalem nouvelle,
Je vole aux lueurs du matin !
– Où croyez-vous qu’elle soit, la nouvelle Jérusalem, oncle Tom ?
– Oh ! bien haut dans les nuages, miss Éva !
– Alors, je la vois, je pense. – Regardez ces nuages ! c’est comme de grands portails de nacre ; et au delà, loin, loin au delà, – c’est tout d’or, Tom. Chantez-moi donc les esprits brillants . »
Tom chanta l’hymne bien connue des méthodistes :
Je les vois ces esprits brillants,
Au sein de l’éternelle gloire,
Tout couverts de vêtements blancs :
Ils chantent l’hymne de victoire !
« Oncle Tom, je les ai vus ! dit Éva. »
Tom n’éprouva ni doute ni surprise. Éva lui aurait dit qu’elle avait été ravie au ciel, qu’il eût trouvé la chose assez naturelle.
« Ils viennent me visiter quand je dors, ces esprits, » dit-elle ; et ses yeux se voilèrent, comme elle chantait tout bas :
Je les vois ces esprits brillants,
Au sein de l’éternelle gloire,
Tout couverts de vêtements blancs.
« Oncle Tom, poursuivit-elle, j’y vais…
– Où, miss Éva ? »
L’enfant, debout, de sa petite main, montra le ciel ; et les yeux levés en haut, plongée qu’elle était dans les splendeurs du couchant, ses cheveux dorés, ses joues rougissantes, brillèrent d’un éclat divin.
« Je vais là ! répéta-t-elle, vers les esprits brillants, Tom ! j’irai avant peu . »
Le tendre et fidèle cœur ressentit un choc soudain. Tom se souvint que, depuis six mois, les petites mains d’Éva lui avaient souvent paru grêles ; sa peau devenait plus transparente, son souffle plus court. Elle se fatiguait vite, et demeurait toute languissante pour peu qu’elle essayât de jouer au jardin, où jadis elle s’ébattait gaiement des heures entières. Tom avait entendu miss Ophélia parler de la toux opiniâtre que tous ses médicaments ne pouvaient guérir ; et, à ce moment même, cette ardente joue, ces petites mains diaphanes, brûlaient d’une fièvre lente.
Et cependant la triste pensée qu’évoquaient les paroles d’Éva ne lui était jamais venue.
Y a-t-il eu des enfants semblables à Éva ? Oui, il y en a eu ; mais leurs noms sont inscrits sur des tombes, et leurs doux sourires, leurs yeux célestes, leurs paroles, leurs actes étranges, restent enfouis, douloureux trésors, au fond de plus d’un cœur navré. N’avez-vous pas connu ces légendes de famille, ces récits des grâces, de la bonté de celle qui est partie ? celle dont l’attrait céleste surpassait de si loin les charmes de tant d’autres qui demeurent ? Ne dirait-on pas que là-haut l’emploi d’une troupe d’anges est de se détacher, un à un, pour venir séjourner un temps sur la terre, et s’y faire aimer de cœurs égarés, qu’ils entraînent ensuite après eux, en s’en retournant au ciel ? Aussi, quand vous voyez le regard profond s’illuminer d’une lueur surnaturelle, quand la jeune âme se révèle en paroles plus suaves, plus sensées qu’il
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