La case de L'oncle Tom
cas extrêmes, elle versa dessus un peu d’eau d’une théière fêlée, et s’évertua à enlever la mélasse des mains et du visage de la petite fille. Quand elle l’eut fourbie jusqu’à la faire reluire, elle la posa sur les genoux de l’oncle Tom, et se mit à débarrasser la table. Polly employa cet intervalle à tirer le nez de papa, à lui égratigner la figure, et à plonger ses petites mains grassouillettes au plus épais de la chevelure crépue de Tom, passe-temps auquel elle semblait prendre un plaisir particulier.
« Est-elle éveillée ! » dit Tom, l’éloignant à la longueur de son bras pour la mieux voir ; il se leva, l’assit sur sa large épaule, et se mit à danser et à gambader avec l’enfant, autour de la chambre, tandis que massa Georgie faisait claquer son mouchoir, et que Moïse et Pierrot, de retour de leur expédition, lui donnaient la chasse en rugissant comme des lions. Si bien que tante Chloé déclara « qu’elle avait la tête tout à fait rompue . » Cette assertion, se renouvelant tous les jours, ne diminua rien de la gaieté et du vacarme, qui ne cessèrent que lorsque chacun eut rugi, cabriolé, sauté à n’en pouvoir plus.
– Eh bien ! j’espère que vous en avez tout votre soûl, dit tante Chloé, en tirant un grossier coffre à roulettes de dessous le lit. Fourrez-vous vite là-dedans, Moïse et Pierrot, car c’est bientôt l’heure de l’assemblée [17] .
– Oh ! mère, nous pas vouloir dormir un brin ! vouloir rester pour l’assemblée, c’est ça qu’est curieux ! Nous bien aimer l’assemblée !
– Allons, tante Chloé, remets la machine en place et laisse-les debout, » dit Georgie avec décision, et, d’un coup de pied, il fit rouler le coffre, que tante Chloé, satisfaite d’avoir sauvé les apparences, acheva de rentrer sous le lit. « Au fait, dit-elle, ça ne peut que leur faire du bien. »
Toute la chambre se forma aussitôt en comité, pour délibérer sur les arrangements à prendre en vue de la réunion.
« Où trouver des chaises ? – c’est pas moi qui en sais rien, » opina tante Chloé. Mais comme depuis un temps infini l’assemblée se tenait une fois la semaine chez l’oncle Tom, sans que le nombre des sièges eût augmenté, il était probable qu’on trouverait encore cette fois des expédients.
« L’oncle Paul, li chanter si fort l’aut’fois, que li en avoir cassé les deux pieds de derrière de la vieille chaise, dit Moïse.
– Veux-tu te taire ! c’est bien plutôt toi qui les as arrachés, vaurien !
– Chaise, li tenir tout de même, si campée droit contre le mur, suggéra Moïse.
– Oncle Paul, li pas s’asseoir dessus, reprit Pierrot, parce que li toujours se trémousser si fort en chantant ! L’autre soir, li faillir tomber tout au travers de la case.
– Si, Seigneur bon Dieu ! faut laisser li s’asseoir, reprit Moïse ; li commencer : « Accourez, saints et pécheurs ; écoutez, petits et grands ! » Et patatras ! v’la li parterre ! » Moïse imita avec une rare précision le chant nasillard du vieux, et fit une culbute pour illustrer la catastrophe.
« Voyons ! vous tiendrez-vous décemment, à la fin ? dit tante Chloé. N’avez-vous pas de honte ? »
Cependant massa Georgie ayant ri avec le coupable, et déclaré que Moïse était « un drôle de corps, » l’admonestation maternelle manqua son but.
« Eh vieux ! dépêche donc ! va chercher les barils : roule-les par ici !
– Barils à mère, li jamais manquer, murmura Moïse à Pierrot : tout comme cruche d’huile à la veuve du bon livre [18] , tu sais, où massa Georgie lisait l’autre jour.
– Aïe ! mais baril li défoncer la semaine dernière, répliqua Pierrot, et eux dégringoler tout au milieu de la prière ! Baril, li manquer cette fois-là ; pas vrai ? »
Pendant cet aparté, deux barils vides avaient été roulés dans la case, et assujettis avec des pierres. Des planches posées dessus en travers, un assortiment de baquets et de seaux renversés, flanqués de quelques chaises boiteuses, complétèrent les préparatifs.
« Massa Georgie lit si bien ! dit tante Chloé ; s’il restait pour faire la lecture ? c’est ça qui serait intéressant ! »
Massa Georgie ne demandait pas mieux. Quel est le garçon qui ne se complaise à ce qui lui donne de l’importance ?
La case s’emplit bientôt d’un assemblage bigarré, depuis le vieillard octogénaire
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