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La chambre des officiers

La chambre des officiers

Titel: La chambre des officiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Dugain
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sais o˘, et qui avaient comme un go˚t de voyage.
    De tout le trajet, nous n'avons pas prononcé une seule parole, chacun ayant suffisamment de quoi débattre avec lui-même.
    C'est Weil qui rompit le silence alors que nous approchions du poste de garde
    - C'est toujours comme ça, quand on est dans le malheur. On croit que le pire s'est déjà produit, tout ce qu'un homme est capable d'endurer. Eh bien non, il reste toujours quelque chose. Il nous manquait la syphilis. C'est probablement chose faite, à présent.
    Nous n'avons plus jamais évoqué cet épi

    sode entre nous, jugeant qu'il n'y avait pas matière à s'étendre. Le plus difficile fut certainement d'éluder les questions, mêmes discrètes, de Marguerite sur notre première escapade.
    L'été 1916 passa comme les précédents. J'eus l'avantage de n'être opéré
    qu'une seule fois. Penanster subit une nouvelle tentative de 'greffe osseuse, qui échoua.
    Weil reçut deux greffes de peau.
    Malgré cela, je conservais l'avantage. Au nombre d'opérations que nous comptabilisions chacun sur un bout de bois, par des encoches faites au couteau, je conservais une respectable avance.
    J'en comptais sept. Penanster et Weil étaient à égalité avec cinq chacun.
    La guerre nous amenait chaque jour un nombre croissant de mutilés de la face. Les complications respiratoires dues aux gaz ren daient plus difficile la t‚che des chirurgiens. Notre travail nous donnait satisfaction. Pas une seule tentative de suicide depuis avril.
    Notre relation au temps changeait. L'idée du futur s'estompait. Nous vivions dans le présent, pour ne pas dire dans l'immédiat. Et ;dans la douleur, qui s'invite sans gêne à tout moment du jour et de la nuit, joue, simule des sorties définitives pour revenir s'imposer avec une violence qui surprend chaque fois. Les journées étaient interminables, sans perspective. La guerre se déroulait au loin, derrière un rideau de fumée. Les jeunes restaient à l'aguet de la moindre nouvelle du front, d'une avancée significative. Les anciens, parce qu'ils pensaient que notre cause était juste, ne doutaient jamais de la victoire, tout en affichant de la distance avec ces soubresauts qu'on nous annonçait avec un enthousiasme excessif. Nous finissions par craindre ces fugitives sorties de léthargie. Chaque fois que cette guerre de position reprenait le mouvement, il s'en suivait tant de morts qu'aucun homme de la salle n'était à l'abri de mauvaises nouvelles sur un père, un frère, un ami fauché dans la masse. C'était autant de misère qui s'ajoutait à notre état.
    Les échanges épistolaires avec ma famille restaient d'une banalité qui me permettait de coller au quotidien, en évitant de donner la moindre information sur mes blessures. Je n'avais rien à leur dire sous peine de dévoiler la réalité de mon état, et je n'étais pas homme à inventer. Je postais cependant une lettre par semaine, qui reprenait mes menus - viande hachée, soupe. Je m'attachais à poser le plus grand nombre de questions sur la santé de notre entourage, et chaque fois qu'on m'apprenait qu'un de mes copains du village ou de l'école avait été amputé d'un bras ou d'une jambe, je me disais, soulagé: " En voilà au moins un peinard! >ï
    Chacune de ces lettres ravivait en moi le souvenir du pays. De ces matinées d'automne o˘ je partais en forêt avec mon père et mon grand-père. C'était le grand-père qui déclenchait le plan de bataille, la veille au soir, avec de savants calculs qui intégraient la lune, la durée des dernières pluies et l'intensité de l'ensoleillement qui avait suivi. Le verdict tombait le plus souvent à la fin du souper, quand ma mère se levait pour desservir.
    Mon grand-père était absorbé par ses pensées, le menton reposé sur le plat de ses poings, et c'était chaque fois le même rituel.
    Tant qu'on ne lui demandait rien, il ne disait rien. Puis, venait la question
    - Dis, grand-père, y vont se trouver?

    Il laissait passer une ou deux minutes de silence, sans jamais laisser présager sa réponse par le moindre signe de tête.
    Puis le verdict tombait
    - Il se pourrait bien qu'ils se trouvent... Je me mettais alors à sauter sur ma chaise comme un cabri. Restait à connaître les prévisions sur l'ampleur de la cueillette.
    - On prend les paniers ou les sacs à pommes de terre, grand-père?
    S'il répondait les sacs, c'est qu'on allait vers une journée à plus de dix kilos de cèpes.
    A l'automne 1913, sur les deux

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