La chambre des officiers
soigneusement disposés sous les lits.
Je suis le premier arrivant de l'étage des officiers blessés de la face.
Ces lits vides vont être progressivement occupés par des hommes qui ne savent encore rien de leur destinée. Pour eux, le sort est encore hésitant.
Une jambe, un bras, un éclat d'obus dans le ventre, la tête - ou tout simplement un sursis de quelques semaines.
Ceux qui vont me rejoindre auront des souvenirs de combat, de corps à
corps, de grandes offensives, alors que j'ai été abattu sans avoir jamais croisé le feu, ni même le regard de l'ennemi et que je ne pourrai jamais raconter à mes enfants à quoi ressemble un Allemand. Je devrai inventer les grosses moustaches et le casque à pointe.
En ces premiers jours de septembre, mes blessures au visage me causent moins de souffrance que cette défaite sans combat, que l'absur dité de mon sort que je n'ai ni construit, ni défendu.
Ma tête est entourée de bandelettes qui ne laissent à découvert que ma bouche et mes yeux. Probablement est-ce assez pour donner à mon visage une expression.
Parce que nous sommes seuls, lui et moi, dans ce hall de gare, l'ouvrier qui s'affaire audessus de chaque lit m'adresse la parole. C'est un homme trop ‚gé pour faire la guerre et trop jeune pour ne rien faire.
- C'est reparti comme en 70. On recule. On dit qu'avant dix jours y seront sur Paris. Si c'est pas malheureux, cette affaire. Moi, je dis: y a pas. Y
faut l'feu sacré, sinon c'est la déb‚cle. En attendant, dites-moi, y vous ont bien arrangé, les
Boches. Et o˘ c'est qu'y vous ont mis ça? Dans les Ardennes? Vous pouvez pas parler? Une sacrée charpie, pour qu'y vous aient ramené jusqu'ici! Même si vous pouvez pas parler, vous pouvez écouter, pas vrai? Hier j' discutais avec la surveillante d'étage. Pas la petite sèche qu'a du poil au menton -
elle, c'est pas une chef - mais la grosse boulotte qui parle bien avec les autres. Elle disait qu'y s'attendaient à recevoir de sacrés colis ici, et d'après ce qu'elle disait, dans votre salle, y vont mettre que des esquintés de la trogne, quoi. que des officiers défigurés, qu'elle a dit. Y
z'ont fait la même chose pour le simple soldat à l'étage au-dessous, et ça se remplit déjà. Pour les officiers, vous êtes le premier. Une sacrée veine, comme ça vous choisissez votre plumard. C'est rapport à cette clientèle qu'y m'ont demandé d'ôter tous les miroirs. Vous comprenez, y aurait des mauvaises surprises. Pour les barreaux aux fenêtres, c'est pas moi, y z'y étaient déjà.
Puis, dévissant son dernier miroir
- Y vous ont drôlement arrangé, mais vous êtes bien tombé. Ici, c'est propre. Puis, vous verrez, y'a de jolis petits lots dans les infirmières.
Et puis, vous êtes un héros; c'est plus facile pour les gens comme vous. Et comme on voit pas ce qu'y a derrière les bandelettes, elles s'imaginent le meilleur, ces bougresses. Voilà, j' vous quitte, j'espère seulement qu'on va pas être obligé de vous évacuer vers le sud. De toute façon, dans l'état que
vous êtes, vous craignez plus rien. A la revoyure, m'sieur l'officier.
Les miroirs disparus ont laissé de grosses ombres rectangulaires au-dessus de chaque lit. L'infirmière entre la première, tête baissée, regard décidé.
Puis vient le médecin, grand type un peu vo˚té, une quarantaine d'années, la démarche volontaire. En trois enjambées, il est devant mon lit.
- Bonjour, lieutenant. Votre solitude ne vous pèse pas? Je crains que d'autres camarades ne soient déjà en chemin. Ce soir peut-être, ou demain au plus tard. Vous ne souffrez pas trop? Et sans attendre la réponse, que je ne peux pas lui donner
- N'êtes pas le genre à vous plaindre, n'est-ce pas? Bon! le programme est le suivant. On va vous alimenter. Vous devez vous refaire du sang et de l'os. Vous verrez, ici, on est à la pointe du progrès. Dans deux ou trois jours, on va vous opérer. Remettre un peu d'ordre. Ensuite, du repos, toujours du repos, et on passera aux choses sérieuses. Tout ça va prendre du temps, bien s˚r, mais du temps vous en aurez. Pas pressé de retourner au front, je présume?
Et comme pour me donner du courage
- Si la guerre s'éternise un peu, vous aurez s˚rement l'occasion d'y retourner avec un visage flambant neuf. Je vous garantis même la repousse de la moustache. Je passerai tous les matins. On va vous fournir une ardoise et une craie, jusqu'à ce que vous puissiez parler.
Puis, sur le ton de
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