La chambre du diable
comme pour protester, mais le dominicain lui
donna subrepticement un petit coup de pied. Le portier fit son entrée. Lady
Monica lui donna ses instructions et, quelques minutes plus tard, il
introduisit Lady Angelica.
Athelstan prit conscience du péril de la situation. La
jouvencelle portait le même habit que l’abbesse. Un seul regard à son beau
minois en forme de cœur encadré par une guimpe de soie ajustée suffit au prêtre
pour comprendre pourquoi Sir Maurice était si éperdu d’amour. Lady Monica fit
les présentations. Athelstan était sûr qu’elle pouvait ouïr les violents
battements de son cœur mais Lady Angelica ne les trahit pas. Elle s’inclina
devant Sir John et le dominicain et, quand la supérieure expliqua les raisons
de leur présence, les yeux de la jeune fille, durs et froids, n’accordèrent à
Sir Maurice qu’un battement de cils impérieux.
– Mon père vous a donc dépêchés ici, commença-t-elle
en s’asseyant près de Lady Monica.
– Je connais votre père depuis longtemps, répondit
le coroner. Il a décidé de vous mettre hors de danger, loin des importunités d’un
chevalier intrigant.
– Et vous êtes venus me remémorer mon devoir
envers mon père ?
– En un mot, madame, oui, dit Athelstan.
– Vous avez amené ce… ?
Angelica s’interrompit, ses yeux bleus brillants à
présent posés sur « Norbert ». Athelstan y lut une certaine douceur
et un éclair de malice.
– Vous avez amené ce frère, mais que connaît-il
de l’amour ?
– Je sais que c’est un don de Dieu, répondit tout
à trac Sir Maurice. Je sais qu’il est éternel. Je sais qu’il est comme l’air
que nous respirons et que nous ne pouvons vivre sans lui.
– Bien dit, railla Lady Angelica. J’aime mon père
mais j’aime aussi quelqu’un qui n’a pas l’heur de lui plaire !
Elle feignit l’angoisse en se tordant les mains sur la
poitrine.
– Que dois-je faire ? Comment l’amour
peut-il être contradictoire ?
En d’autres circonstances, Athelstan aurait été amusé
par cette petite friponne qui jouait le jeu avec tant de maîtrise et d’adresse.
Elle battit des cils.
– Si je dois aimer mon père, comme je sais que
vous allez me le dire, alors je dois aussi lui obéir. Mais, si j’obtempère, il
me faut renoncer à l’amour que j’éprouve pour ce chevalier.
– Fort bien résumé, intervint Lady Monica. Angelica,
vous devriez fréquenter notre salle d’études. Notre bibliothèque est très bien
fournie…
– Mais il n’y a rien là d’incompatible, expliqua
Sir Maurice.
– Et pourquoi ? s’insurgea l’abbesse. Le
quatrième commandement ordonne d’obéir à son père et à sa mère !
– Il existe une hiérarchie dans la vie, n’est-ce
pas ? reprit le jeune homme. Dans cet ordre, Lady Monica, vous êtes la
supérieure. Il en va de même dans la nature. Certains chevaux sont plus rapides
que d’autres et certains chiens plus combatifs. Il y a aussi une hiérarchie
dans l’amour, avec Dieu au sommet.
– Et en dessous ? questionna la jouvencelle.
C’est sans doute l’amour envers ses parents ?
– Ce n’est pas ce qu’enseigne le Christ, rétorqua
Sir Maurice, tout feu tout flamme, en fixant droit dans les yeux sa bien-aimée
qui rougit. Il a dit que si une femme aimait un homme elle devait quitter amis
et parents pour le rejoindre afin qu’ils ne fassent plus qu’une seule chair. C’est
la volonté de Dieu et nul ne doit tenter de séparer ce qu’il a uni.
– Beau discours ! se gaussa Angelica. Mais, mon
frère, je ne suis pas encore l’épouse de cet homme. Je ne suis même pas sa
promise.
– Mais les mariages se font au ciel, contra « Norbert ».
– Qu’est-ce à dire ? intervint l’abbesse.
Athelstan glissa les mains dans les manches de sa bure
et tourna la tête. Sir John cherchait déjà sa gourde. « Frère Norbert »
était-il allé trop loin ?
– Êtes-vous en train de conseiller à Lady
Angelica de braver son père ?
– Oh non ! Je ne faisais que deviser de
philosophie, de la véritable valeur de l’amour et de ses fins.
– Mais qu’est-ce que l’amour ? s’empressa de
questionner Lady Angelica pour détourner l’attention de la supérieure.
– Le plus grand de tous les dons de Dieu, répondit
le chevalier lentement comme s’il avait conscience de s’être avancé avec
imprudence. Cela signifie offrir son cœur, son âme, son corps à l’autre. Il n’admet
nul
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