La chambre du diable
obstacle ; il est pur ; c’est un feu inextinguible.
Athelstan leva les yeux au ciel. Il se demanda si Sir
Maurice répétait ce qu’il avait lu dans les ouvrages de saint Bonaventure ou si
c’était son cœur qui parlait. L’ardeur du jouvenceau l’étonnait et, d’une
étrange manière, il lui enviait sa passion brûlante. Ai-je jamais aimé ainsi ?
s’interrogea-t-il. Aimerai-je un jour ainsi ?
– L’amour est éternel, reprit Sir Maurice. Nous
sommes nés ainsi, mon enfant. Je suis persuadé que tous les hommes et toutes
les femmes ont deux grandes amours : Dieu et celui ou celle à qui ils ont
donné leur foi. De plus, un tel amour reflète la vie de la Trinité. Comme l’écrit
le grand Bonaventure : « De même que Dieu aime le fils et donne
naissance à l’Esprit qui est amour », de même homme et femme, dans une
sainte alliance, ne font plus qu’un et créent une vie divine qui participe à la
création de Dieu.
– Et il ne connaît point de mensonges ? interrogea
Angelica.
– Aucun.
– Ni de division ?
– Aucune.
– Alors que doit faire Angelica ? le pressa
Lady Monica.
Le dominicain remarqua qu’elle s’était un peu
empourprée.
– Qu’elle prie, conseilla Sir Maurice. Qu’elle
prie de tout son esprit, de tout son cœur, de toute son âme, afin que soit
connue la volonté de Dieu. Madame, ce ne sera ni Sir Thomas Parr, ni vous, ni
cette jeune femme, ni même ce malheureux, cet infortuné, ce cœur brisé…
Athelstan envoya un coup de pied dans les tibias du
jeune homme.
–… de chevalier éperdu qui décideront, mais Dieu. Et
Dieu aime les amants.
Il perçut un éclair d’acier dans le regard de l’abbesse.
– Lui seul décidera !
– Et en attendant ? s’inquiéta Angelica en
se redressant, du rire plein les yeux. Dois-je rester céans et languir ? Ce
n’est pas que les nonnes, ici, s’empressa-t-elle d’ajouter, soient tracassières,
mais je me demande vraiment comment cela finira.
– Dieu vous enverra un signe, intervint Athelstan.
Il sortit la main de sa manche et serra en douceur le
genou de Sir Maurice pour lui signaler qu’il en avait assez dit.
– Frère Athelstan a raison, renchérit ce dernier
en soutenant le regard de Lady Angelica. Il vous enverra un signe et vous fera
connaître sa volonté. Tout finira bien : les choses s’arrangeront.
– Parlerez-vous à ce jeune chevalier ? s’enquit
Lady Monica.
– Oh oui ! J’irai le voir dès que je vous
aurai quittées. Je me mettrai à sa recherche.
Il leva la main.
– Et je sais ce qu’il dira, car j’ai déjà
rencontré des jouvenceaux dans sa situation, bien que peut-être moins épris que
lui. Il sera navré, il versera des flots de larmes, il sera désolé. Il jurera
qu’il aime cette jeune femme plus que sa vie. Qu’il la chérira jusqu’à la mort
et même au-delà. Il affirmera que pour elle il forcerait les portes de l’enfer
et affronterait toutes les puissances des ténèbres. Que le ciel et la terre
passeront mais que son amour sera éternel. Qu’il a donné son cœur à Lady
Angelica et qu’elle devra soit le guérir soit le briser !
Lady Monica, les yeux brillants, poussa un profond
soupir.
– Pauvre, pauvre jeune homme ! Je prierai
aussi pour lui.
– Frère Norbert, dites-lui…
– Non, non ! s’insurgea la prieure en
saisissant le poignet de la jouvencelle. Vous n’êtes pas autorisée à lui
adresser un message, mon enfant !
Athelstan lut dans les yeux d’Angelica que c’était inutile.
Il se mit debout avec lenteur, imité par Cranston.
– Nous devons vous laisser à présent, dit-il avec
fermeté. Mais, Lady Monica, si cela vous agrée, pourrons-nous revenir ?
– Oui, oui, répondit-elle en essuyant une larme. Sir
John, tout cela nous remémore de bien doux souvenirs.
Solennel, le magistrat acquiesça.
– Nous avons eu notre heure, madame ! Oh oui,
nous l’avons eue !
Quand ils eurent quitté le couvent de Syon, Athelstan
ne fit pas d’objection à ce que Cranston les « induise en tentation »
et les conduise comme une flèche dans l’accueillante pénombre de la grand-salle,
à L’Arbre de Jérusalem. Le visage de Sir Maurice ruisselait de sueur. Athelstan
constata que ses jambes tremblaient un peu et Sir John gloussait ; en fait,
le temps de commander trois chopes de la bonne bière mousseuse de Londres, et
ils éclatèrent de rire.
– Je n’aurais jamais cru ça ! souilla le
coroner.
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