La chambre du diable

les ténèbres. Il demanda qu’elles ne sombrent pas dans la nuit
éternelle. Thaddée tremblait encore et Athelstan dut l’entourer de son bras. Bonaventure
vint en rampant se lover sur ses genoux.
    – Nous formons un trio de couards, hein ? commenta-t-il.
Mais la tuerie a été si rapide, si sauvage !
    Le chat ronronna.
    – Je suis désolé de l’avoir lancé, s’excusa le
dominicain. Mais que pouvais-je faire ?
    L’huis s’ouvrit. Il vit une chandelle allumée et deux
silhouettes sombres : Sir Maurice et Godbless remontaient la nef.
    – C’est propre, mon frère. Il n’y avait pas
beaucoup de sang.
    Godbless dévorait un autre bol de ragoût.
    – Rien ne vaut un bon combat pour vous ouvrir l’appétit !
    Le chevalier tendit la main.
    – Venez, il est temps d’aller dormir. Nous ne
pouvons rien faire de plus.
    – Qui les a envoyés ?
    – Ah !
    Le visage en général avenant du jouvenceau devint
hideux.
    – Parr ! J’irai le défier demain !
    Athelstan secoua la tête.
    – N’en faites rien, Sir Maurice, de grâce, pour l’amour
de moi !
    Le chevalier s’accroupit en protégeant la flamme de la
main.
    – Vous ne pensez pas que c’est Parr, n’est-ce pas ?
    – En effet, répondit le prêtre en se levant. Vous
comprenez, si ces assassins avaient été pris et questionnés, Parr aurait perdu
sa tête sur le pré de la Tour ou peut-être même aurait été pendu à Tyburn !
    Il soupira.
    – Je crois que c’est Mercure. Mais comment ces
coquins pouvaient-ils nous conduire à lui ? Bon. Nous finirons bien par
connaître la vérité. Viens, Godbless, il vaut mieux que tu dormes sur le sol de
la cuisine.
    Le dominicain jeta un coup d’œil au chevalier.
    – Monseigneur de Gand n’aura-t-il point besoin de
vous au Savoy ?
    – Je suis en faveur. Ce que je fais pendant deux
ou trois jours lui importe peu.
    Pendant que Sir Maurice et Godbless, accompagnés de
Thaddée et de Bonaventure, retournaient au presbytère, Athelstan ferma la porte
de l’église. Il alla ensuite voir les deux cadavres allongés dans l’herbe
humide. Après avoir fait un signe de croix sur les dépouilles, il regagna ses
pénates.
    Le lendemain matin, la messe, à St Erconwald fut
suivie par une large assistance. Le conseil paroissial fit une entrée en force
et se massa dans le chœur. Athelstan comprit que, d’une façon ou d’une autre, la
nouvelle de l’agression s’était répandue dans Southwark. Il donna la
bénédiction finale et se retourna pour pénétrer dans le sanctuaire.
    – Est-ce que nous les pendrons, mon père ? cria
Pike sans s’émouvoir, appuyé sur sa pelle. Les pendrons-nous par les talons en
guise d’avertissement ?
    Les autres ouailles approuvèrent ses paroles à grands
cris. Athelstan distingua Benedicta qui le fixait, pâle, les yeux écarquillés, bougeant
les lèvres comme si elle récitait une oraison à voix basse.
    – Laissez les corps comme ils sont. Que sont-ils
à présent, si ce n’est de misérables enveloppes ? Leur âme est devant Dieu.
Mais vous pouvez me prêter main-forte.
    Après avoir ôté ses vêtements sacerdotaux, le
dominicain se rendit dans le cimetière où ses paroissiens firent cercle autour
de lui. Hig le porcher, un gros gourdin en main, fut chargé de veiller les
cadavres.
    – Crim, ordonna Athelstan, va à la sacristie. Rapporte
un pichet d’eau bénite et un goupillon. Pike, là-bas, sous les ifs, tu
trouveras une vieille croix en bois.
    – Vous n’allez pas les enterrer ici ? s’indigna
Pernel la Flamande d’une voix aiguë.
    – C’est acte chrétien que d’inhumer les morts, répondit
Athelstan.
    Manger, le bourreau, prit la parole :
    – N’allez-vous point nous narrer ce qui s’est
passé ?
    – C’étaient des voleurs. Et mon bon ami Sir
Maurice Maltravers m’a défendu avec héroïsme ! C’est un véritable héros, un
Galahad !
    Les assistants se pressèrent sur-le-champ autour du
chevalier.
    – Frère Athelstan a fait preuve de courage, lui
aussi, déclara-t-il. Tout comme Godbless !
    Le mendiant reçut de même son tribut d’hommages. Athelstan
vit que Benedicta lui glissait quelques piécettes.
    – Nous les enterrerons ici, annonça-t-il. Ils y
attendront la résurrection.
    – Eh bien, rugit Watkin, quand ces bougres se
réveilleront, mon premier geste sera de leur frotter les oreilles !
    Les paroles du ramasseur de crottin déclenchèrent un
chœur de murmures