La chambre du diable
approbateurs.
– Ce sont des rats, commenta Ranulf le tueur de
rats, et ils sont morts comme des rats. Oh, au fait, mon père, vous n’avez pas
oublié notre messe demain ?
– De quoi s’agit-il ? intervint Watkin.
– Ranulf te racontera, dit le dominicain. Et je
ne veux point de chicane.
Pike revint, chargé de la petite croix de bois.
– Où les mettez-vous, mon père ?
– Dans le fossé qui longe le mur du cimetière.
Pike se rembrunit et jeta un regard en coin à Watkin.
– Ça tombe sous le sens, reprit Athelstan. Ils
seront ainsi dans la terre consacrée mais juste au bord.
Il gratta l’herbe humide de sa sandale.
– Malgré la pluie, la terre est trop dure. Cela
vous évitera d’avoir à creuser une tombe supplémentaire. Et, de plus, personne
ne demande à être inhumé près du mur.
– C’est vrai, commenta Bladdersniff qui titubait
encore sous l’effet durable de la bière absorbée la veille. C’est la meilleure
place pour eux.
Watkin et Pike acquiescèrent à contrecœur.
– Très bien, dit le dominicain. Levez les corps. Pike,
marche en tête avec la croix. Les autres me serviront de témoins. Récitez une
prière pour ces âmes infortunées.
L’étrange procession déambula à travers le cimetière. Athelstan
récitait à voix haute le Pater Noster. Pike portait la croix devant lui et
Watkin traînait derrière en grommelant : « Nés bâtards, bâtards ils
sont morts ! »
Ils arrivèrent près de la tranchée, comblée à présent
dans sa plus grande partie. On déposa les dépouilles l’une sur l’autre. Pike et
Watkin prirent la direction des opérations. Athelstan bénit la tombe et murmura
une oraison.
– Bon, comblez le fossé ! commanda-t-il aux
deux hommes.
– Oui, allez-y, ajouta Godbless. Qu’est-ce que
vous avez, vous deux ? On ne peut pas laisser les cadavres à l’air libre
comme ça !
Maugréant entre leurs dents, Watkin et Pike se mirent
à pelleter la terre. Athelstan leva les yeux vers l’énorme sycomore et c’est alors
qu’il remarqua qu’une partie de l’écorce avait été arrachée comme si on avait
attaché une corde de chanvre autour de l’arbre. En l’observant de plus près, il
constata que quelques branches venaient d’être cassées et que la sève était
encore claire et fraîche. Un vague malaise l’envahit.
– Tant pis, soupira-t-il, ils sont bel et bien enterrés à présent. Et
l’affaire est réglée !
CHAPITRE XIV
Athelstan
se sentait las, épuisé et à bout de forces, aussi décida-t-il de passer la
journée dans sa paroisse. Il monta au clocher et contempla Southwark et les
volutes de fumée qui s’échappaient des chaumières et des tanneries. Dans les
ruelles, les passants ressemblaient à des insectes multicolores s’agitant en
tous sens. La journée était claire, bien que la brume voilât le soleil, et il
pouvait distinguer la Tamise sillonnée de divers bateaux et barges. Il laissa
la brise rafraîchir son visage et, assis contre le mur, il réfléchit aux
événements de la veille.
Il interpella Bonaventure qui l’avait suivi et était maintenant
couché au soleil sur la trappe d’accès.
– Qu’avons-nous ? Primo, un chevalier
éperdu d’amour mais aussi un combattant qui, dans la bataille, a arraisonné
deux navires. Secundo, mon cher Bonaventure, il se peut que notre régent
bien-aimé ait un espion parmi les officiers de ces deux bateaux. Et nous
ignorons si cet espion est vivant ou mort.
Le dominicain regarda les oiseaux monter en flèche
au-dessus de sa tête. Pour quelque étrange raison, il se remémora son départ
précipité de St Erconwald avant que le prieur Anselm ne lui ait ordonné tout à
trac de faire demi-tour. Était-il heureux d’être revenu ? Oui, sans nul
doute. Malgré tous les conflits et le sang, malgré les petites déconvenues de
la vie, il aimait cette église et les gens qui s’y pressaient.
– Même si certains sont des coquins, dit-il à
voix haute. Mais revenons à notre question, mon cher Bonaventure. Tertio, nous
savons que les Français ont dépêché un espion en Angleterre, Mercure. C’est un
impitoyable tueur. Il est peut-être responsable du trépas des hommes et de la
malheureuse jouvencelle, à Hawkmere, bien que cela n’ait pas de sens. Il a pu
user d’un poison inconnu qu’il a sans doute acquis chez Vulpina. Il a, de toute
évidence, découvert que nous lui avons rendu visite et elle devait donc
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