La chambre du diable
là ?
– Pour l’amour de Dieu, aidez-nous !
À la porte, un homme se tenait dans les ténèbres. Il
en soutenait un autre, la tête basse, le bras passé sur l’épaule de son
compagnon. Athelstan aperçut la barbe de plusieurs jours et l’anneau de cuivre
brillant au lobe d’une oreille.
– On nous a attaqués ! Pour l’amour de Dieu,
pouvons-nous entrer ?
Athelstan recula. Le visiteur, grognant et ahanant, introduisit
son compagnon dans la maison. Le dominicain refermait l’huis quand il entendit
Sir Maurice pousser une exclamation. Il se retourna et vit que les deux
inconnus se tenaient à présent bien droits, capuchon rabattu, arbalète baissée
et armée au poing. Tous deux avaient le crâne rasé. Leurs traits émaciés
étaient peu avenants, ce que ne faisaient qu’accentuer les anneaux de cuivre
pendant à leurs oreilles.
– Je suis prêtre ! rappela Athelstan en s’avançant
d’un pas.
Ils reculèrent.
– Vous n’avez nul droit de pénétrer céans ! C’est
ici le petit arpent de Dieu et vous commettez un terrible sacrilège !
– Voilà des années que je n’ai mis les pieds à l’église,
ironisa le plus grand. Alors, pas de mielleuses homélies mais, si le cœur vous
en dit, vous pouvez réciter une prière !
Il fit signe à Athelstan de s’écarter et d’aller de l’autre
côté de la table où le chevalier allait et venait, les yeux tournés vers la
cheminée : son ceinturon y était suspendu à un crochet et le pommeau de
son épée scintillait, inaccessible, à la lueur des chandelles. Le chef au crâne
rasé suivit son regard.
– Essayez, si vous voulez, dit-il avec un grand
sourire en passant la langue sur ses dents jaunes et ébréchées. Vous avez bien
mangé et bien bu. Vous ne serez pas aussi agile que vous le paraissez !
– Pourquoi êtes-vous ici ? interrogea
Athelstan.
Il voyait bien que leurs agresseurs étaient prêts à
les occire, mais que pouvait-il faire ? C’étaient des tueurs de venelle, des
assassins professionnels.
– Comme vous, mon père, nous avons une tâche à
accomplir.
– C’est-à-dire ?
Le plus grand des crânes rasés esquissa un geste bref
en direction de Sir Maurice.
– Il doit périr. Et vous aussi, j’en ai peur, car
nous ne pouvons laisser de témoin.
Il lança un coup d’œil vers la cheminée près de
laquelle Thaddée, couché, se chauffait. Bonaventure, à ses côtés, s’était levé,
le dos arqué, la queue dressée, comme s’il avait compris que ces hommes
représentaient une menace.
– Qui vous envoie ? interrogea Athelstan.
– Disons le Diable en personne.
Le prêtre regarda le chevalier qui, des yeux, indiqua
le feu. Athelstan déglutit avec peine. Il savait que Sir Maurice demandait qu’il
se glisse entre les deux assassins et lui-même. Il fit un pas en avant.
– Où allez-vous, mon frère ?
– Éteindre le feu, répondit-il. Si on doit me
tuer, je ne veux point que la maison brûle. Ce sont des miséreux que je sers. L’évêque
s’attendrait à ce qu’ils bâtissent une nouvelle demeure pour mon successeur.
Il aperçut une lueur d’incompréhension dans les yeux
de Crâne Rasé quand il avança.
– Viens, Bonaventure.
Le religieux se baissa et prit le chat dans ses bras. Entendant
un mouvement, il pivota en hâte et jeta le matou aux pieds de Crâne Rasé. Sir
Maurice s’était déplacé, surprenant Athelstan par sa rapidité. Un carreau d’arbalète
tournoya et alla se ficher dans le plâtre, à l’autre bout de la pièce. Le
dominicain sentit qu’on le poussait. Il recula en titubant. Avant qu’il ait pu
retrouver l’équilibre, le chevalier se trouvait au milieu des assassins. Ces derniers
avaient détendu leurs arbalètes, ce qui causa leur perte, car ils n’eurent le
temps de dégainer ni épée ni dague. L’épée de Sir Maurice s’enfonça dans l’épaule
de l’un d’eux qui recula en hurlant. L’autre lança son arbalète au visage du
jouvenceau et l’atteignit au bras quand il se retourna. Sir Maurice s’immobilisa,
tressaillant de douleur, laissant au plus grand des crânes rasés l’occasion de
tirer ses armes et repoussa sa cape par-dessus son épaule. Puis il s’élança, l’épée
fendant l’air. Le meurtrier était agile et bloqua le coup à l’aide de ses armes.
L’autre était à présent accroupi sur le seuil. Le plus âgé l’invectiva. Le
blessé, oubliant sa douleur, se releva sur un genou et dégaina son épée
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