La chambre maudite
François de Chazeron se méfiait toujours d’elle. Elle mangea de grand appétit, d’autant qu’une rage sourde entremêlée de tristesse la tenait tout entière dans une seule question : où était sa mère ?
Cythar grogna dans l’ombre et Philippus s’éveilla, engourdi, malgré son mantel qu’il avait refermé autour de lui. Il s’était endormi contre la pierre, incapable de se résoudre à quitter son poste. A l’entrée du dernier boyau, quatre coudées le séparaient de Loraline. Quatre coudées. C’était si peu et cependant plus loin qu’ils avaient jamais été.
Il voulut se redresser mais ses articulations étaient raidies par le froid. Seul son rythme cardiaque s’était accéléré. Albérie parut et Cythar lui fit fête.
– Comment est-elle ? demanda-t-elle après l’avoir salué d’un signe de tête.
– Rassurée et inquiète à la fois. Comment va ma fille ?
– Antoinette la prénomme Antoinette-Marie. Elle s’accroche à la vie. Je viens de voir Chazeron s’engouffrer dans sa chambre avec quatre gardes portant une vieille malle.
Philippus sentit le souffle lui manquer.
– Croyez-vous…, commença-t-il.
– Que Loraline soit morte à l’intérieur ? Je l’ignore. Je suis venue m’assurer du contraire. Nous ne risquons rien à lui rendre visite puisqu’il s’est absenté.
Philippus opina du menton et s’enfonça aussitôt à quatre pattes dans le conduit. Un moment plus tard, Loraline leur faisait en détail le récit du marché qu’elle avait conclu avec François, omettant toutefois de parler de ce qu’elle avait découvert à propos d’Isabeau. Ce n’était pas le moment de régler ses comptes avec sa tante. François allait revenir.
– Bientôt nous serons libres, mon amour. Il y a suffisamment de passages dans les deux châteaux pour que je puisse m’évader à un quelconque moment. Tante Albérie, prends soin de notre fille jusque-là. Ne reste pas dans les souterrains. Lorsque François aura découvert l’or, il les passera au crible pour tenter de voir s’il ne s’en trouve pas d’autre. Ne vous approchez plus d’ici. Laissez-moi seulement le passage ouvert. Si finalement il décidait de me laisser croupir dans ce cachot, je négocierais qu’il me détache. Gardez confiance. Je reviendrai, Philippus. Je t’en fais la promesse.
Il hocha la tête, fort de sa conviction, fort de cette capacité à s’adapter, à survivre, qu’elle portait en son sang. Non, elle n’était pas comme les autres, et cette différence la lui faisait aimer plus que jamais. Il détacha de son cou une chaîne d’or au bout de laquelle pendait une croix finement ciselée et l’attacha au sien, sous le collier de fer.
– Elle appartenait à ma mère. Elle tenait à ce que je l’offre à mon épousée. Elle s’est éteinte avant de connaître ce bonheur. Je veux que tu la portes dès à présent.
Loraline contint sa souffrance en songeant à sa propre mère. Grâce à Philippus, elle allait enfin avoir une vraie famille.
– Elle ne me quittera jamais, mon amour. Jamais. Allez, à présent. S’il vous trouvait ici, je n’ose imaginer ce qui pourrait se passer.
Elle les regarda disparaître en serrant dans son poing le bijou empli de promesses. L’enfant avait cessé de geindre et de téter. Il somnolait, le souffle irrégulier. Il faisait trop froid pour qu’il vive. Elle espérait que François ne se rendrait compte de rien. Elle le protégea de son mieux, mais elle avait peu de chaleur à lui transmettre. Elle aussi était glacée.
Elle observa le manège de deux rats se disputant les restes de son repas. Elle avait dû les repousser plusieurs fois avec une pierre trouvée alentour. Attirés par l’odeur du lait, ils restaient trois ou quatre à guetter son sommeil. Pas une seule fois dans la grotte de son enfance elle n’avait souffert du froid, de la faim ou de l’insalubrité. Là, elle devait cohabiter avec ses excréments et la moisissure. Elle se sentait sale, souillée. Elle serra les dents, s’obligea à marcher de long en large, aussi loin que le lui permettait sa chaîne, en soufflant sur l’enfant serré contre son sein pour lui donner un peu de vigueur. Elle aurait voulu pouvoir dormir un peu, mais elle sentait qu’à son réveil le petiot serait mort. Elle ne pouvait s’y résoudre.
« Antoinette-Marie. » La châtelaine avait prénommé sa fille Antoinette-Marie. Philippus avait trouvé cela joli. Elle
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