La chambre maudite
à son rêve. Tout.
Il n’avait plus envie d’attendre. Il s’approcha d’elle et l’agrippa par les cheveux, la forçant à relever la tête.
– Suffit ! Tu ne parviendras pas à me plier, Isabeau.
Il lui cracha au visage.
– Tu me déçois. Je t’ai connue moins geignarde.
Il dégaina sa lame et l’appuya sur le dos de l’enfant.
– Cesse de pleurnicher ou j’embroche ton fils !
Loraline renifla. Des idées contradictoires se bousculaient dans sa tête. Quels scrupules devait-elle avoir désormais ? Elle avait tout à la fois envie de mourir et de vivre. Mourir pour avoir été trahie, vivre comme sa mère avant elle pour se venger.
Elle avait du sang des Chazeron dans les veines. Ce sang qu’elle refusait, exécrait, la révolta assez pour retrouver sa dignité perdue. Elle passa une main ferme sur son nez et refoula ses larmes dans sa propre colère.
– Tu avais raison, François de Chazeron. La pierre philosophale était en moi. Je l’ai absorbée pour mettre cet enfant au monde. Il n’est pas comme les autres. Il est l’alkaheist.
François de Chazeron écarquilla les yeux avec un plaisir non dissimulé. Loraline avait cette conviction dans la voix que seules les situations extrêmes peuvent concevoir. Elle abattait sa dernière carte, qui pouvait la sauver ou la perdre. Elle s’en moquait.
– Le liquide que je t’ai indiqué m’a servi à cet usage. Il me suffisait de mélanger un cœur de loup avec mon propre sang et d’y ajouter cet extrait pour obtenir une pâte qui au contact du fer le transformait en or. Je possède une montagne d’or, Chazeron. Mais, tu le sais, n’est-ce pas, ce n’est jamais suffisant. Alors j’ai créé l’enfant. Il est trop jeune encore. A la puberté pourtant, l’or jaillira de ses mains au contact du métal. Il lui suffira d’imposer les doigts sur une plaie pour la refermer et quelques gouttes de son sang seront un élixir de jouvence. Si tu ne m’avais pas emprisonnée, j’aurais fui avec l’enfant et ce trésor. Je me serais acheté la vie que tu m’as volée.
Elle le toisa avec un sourire cruel. Il lâcha ses cheveux et recula, fasciné.
– Oui. Oui, répéta-t-il en proie à une agitation extrême.
Il arpenta le sol du cachot, s’arrêtant par moments pour regarder l’enfant qui s’était endormi, l’œil curieux.
Fou. Loraline se demanda comment il pouvait croire un seul instant cette fable sordide, mais finalement cela lui importait peu. Sans doute était-elle aussi folle que lui d’oser l’inventer. Quoi qu’il en fût, elle était désormais résolue à aller jusqu’au bout.
– Rends-moi ma liberté, Chazeron. Tu peux m’enlever l’enfant, mais il a besoin de mon sein pour survivre. Du lait humain ne lui suffirait pas.
– Pas avant d’avoir vérifié tes dires à propos de l’or.
– Je t’y conduirai.
Chazeron éclata d’un rire noir.
– Pour me perdre dans les souterrains ? Ne me crois pas stupide, Isabeau. Tu me guiderais vers la mort bien plus sûrement que vers la fortune, et pourrais ensuite t’enfuir à souhait. Je vais te faire porter du parchemin. Tu me traceras l’itinéraire. Lorsque j’aurai vérifié tes dires, tu auras la vie sauve. Toi et ce précieux enfant serez mes invités.
Il se détourna d’elle et cogna à la porte. Elle se referma sur lui. Le souffle du nourrisson était faible dans son sommeil. Elle ramena ses genoux contre son ventre et resserra les pans de sa tunique autour de lui. Il ne vivrait plus longtemps, elle le sentait. Il fallait coûte que coûte que Chazeron trouve cet or et la délivre avant qu’il passe. Hors d’ici, elle trouverait bien le moyen de lui échapper.
Il revint quelques minutes plus tard et elle lui traça un itinéraire, non vers le trésor des Anglais, mais vers la salle où elle avait fondu les pièces inutilisables en lingots, dans le but de les emporter avec elle et Philippus, assurant ainsi leur fortune. Il y en avait une centaine. Suffisamment pour accréditer son histoire.
Chazeron écouta ses conseils, s’attarda sur les pièges qu’elle lui signala, puis s’en fut, avide de vérifier ses dires.
Quelques instants après, en place du bouillon qu’on lui avait servi la veille, on lui porta un demi-poulet assorti de légumes et d’entremets. Loraline en conclut que Chazeron tenait à la vie de l’enfant. Elle demanda encore à ce que le collier de fer lui soit ôté, mais sa requête resta sans effet.
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