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La chambre maudite

La chambre maudite

Titel: La chambre maudite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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lui, l’aimait-il ? Albérie n’aurait su répondre. Il avait le front soucieux, cet air qu’elle lui connaissait bien aux lendemains tragiques.
    Elle savait que ce jeune médecin, Philippus, l’avait entretenu au matin, après qu’il l’eut quittée. Ils s’étaient croisés dans le corridor, et Albérie avait entendu leur conversation. Philippus avait demandé s’il se trouvait beaucoup de loups dans la région, affirmant qu’il avait été réveillé par un cri en plein cœur de la nuit. Huc l’avait assuré que cela arrivait parfois lorsque la nourriture était rare, mais qu’il n’avait rien entendu pour sa part. Albérie eut l’impression qu’il mentait mal, pourtant Philippus n’insista pas ; Huc avait détourné la conversation sur François, qui semblait mieux puisqu’il l’envoyait quérir un matinel. Albérie en fut agacée. A cause de cet homme, Loraline n’avait pu administrer à François sa dose depuis deux nuits.
    Tandis que l’abbé terminait son sermon, Albérie reporta son attention sur Philippus. Il était devant elle et ne pouvait en conséquence savoir qu’elle l’observait. Malgré son front tourné, Philippus laissait son regard traîner de part et d’autre.
    « S’il surprend la liaison entre Huc et Antoinette, il les supposera coupables, se dit-elle soudain. A l’inverse des autres, celui-ci est loin d’être sot, il se doute sûrement que le mal de François n’est pas naturel. » S’il venait à lui raconter ce qu’il avait découvert et à y mêler Huc, le seigneur de Vollore le ferait pendre comme il avait fait pendre Benoît. Albérie déglutit avec difficulté de sorte que son chant, qui ralliait à présent celui des autres, se solda par une fausse note attirant sur elle les regards mi-amusés, mi-offusqués de ses voisines, toutes deux chambrières d’Antoinette. Mais Albérie n’en eut cure. En se consacrant tout entière à sa mission, elle avait négligé son époux au point de le pousser dans les bras d’une autre. Et cette autre même le mettait plus en danger que ses propres agissements. Philippus ou pas, cette nuit François de Chazeron aurait sa dose. Avant la fin de la semaine, il ne serait plus. Philippus aurait beau avoir des soupçons, il n’aurait pas de preuves. Non seulement Huc ne serait pas coupable de la mort du seigneur, mais il ne voudrait pas croire que Loraline soit l’auteur de cet assassinat. Albérie avait été suffisamment convaincante. Si Huc acceptait la thèse de l’empoisonnement, elle saurait bien s’arranger quant à elle pour faire retomber sur Antoinette, et Antoinette seule, la responsabilité de la mort de François. La châtelaine avait un motif. François la gênait désormais ! Ainsi c’en serait fait de sa liaison avec le prévôt, car, Albérie en était certaine, pour autant que Huc haïssait François, il ne pourrait continuer d’aimer son assassin.
    Albérie se sentit rassérénée. Au fond, elle avait tort de s’inquiéter. Avant qu’il soit longtemps, tout serait terminé.
     
    Comme chaque soir, Albérie versa la soupe épaisse dans les larges bols, le bras sûr, l’humeur distante. Puis elle se renfonça dans l’angle de la pièce et attendit. Huc mangeait avec Antoinette, en bout de table, ses suivantes et dames de compagnie au nombre de trois à l’autre bout. Albérie les connaissait à peine. Elles étaient jeunes, d’une intelligence s’apparentant davantage à celle des bovins qu’à celle des renards, et s’ennuyaient à Montguerlhe, de sorte qu’elles se mouraient dans l’indifférence totale de la maisonnée à jouer aux dés, à broder, à filer, à coudre et à médire des autres filles de leur âge, placées en d’autres maisons pour faire leur éducation. Antoinette s’en préoccupait peu et leur avait confié le soin de s’employer au trousseau de l’enfant pour ne pas les avoir dans les jambes. Leur seul intérêt était d’animer un peu les veillées. L’une d’elles déclamait à merveille les vers de poètes qu’elle ne comprenait pas, mais dont la mélancolie savait la toucher, les deux autres mêlaient leur voix au timbre frais d’Antoinette qui accompagnait à la harpe ces chansons. Leur rôle, leur existence même à Montguerlhe s’arrêtait là.
    Quoi qu’il en fût, Albérie fut bien aise de constater que tous et toutes achevaient avec plaisir leur assiette. Elle délégua le restant du service et s’en fut porter collation à Philippus qui

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