La chance du diable
de Remer cernait l’édifice. Des unités de panzers fidèles au régime fermaient le centre de Berlin. Les commandants des troupes n’étaient plus disposés à entendre les ordres des conjurés. Au sein même du Bendlerblock, des officiers supérieurs se rebellaient, rappelant aux conspirateurs que le serment qu’ils avaient prêté à Hitler était toujours valable puisque la radio avait annoncé qu’il était toujours en vie.
La cause étant de toute évidence perdue, un groupe d’officiers d’état-major insatisfait par les explications de plus en plus boiteuses d’Olbricht, et quels que fussent les sentiments que leur inspirât Hitler par ailleurs, cherchèrent naturellement à sauver leur peau et se rebellèrent. Peu après 21 heures, ils prirent leurs armes et regagnèrent la pièce où se trouvait Olbricht. Alors que leur porte-parole, le lieutenant-colonel Franz Herber, parlait à Olbricht, des coups de feu retentirent dans le couloir. L’un d’eux blessa Stauffenberg à l’épaule. Il s’ensuivit une brève échauffourée, rien de plus. Herber et ses hommes forcèrent la porte du bureau de Fromm, où le colonel de corps d’armée Hœpner, désigné par les conjurés pour commander l’armée de réserve, Mertz, Beck, Haeften et Stauffenberg s’étaient réunis. Herber demanda à parler à Fromm ; il lui fut répondu qu’il était encore dans son appartement (où il était placé sous bonne garde depuis l’après-midi). L’un des officiers rebelles s’y rendit aussitôt, obtint d’être reçu et expliqua à Fromm ce qui se passait. La garde postée devant la porte de Fromm avait disparu. Libéré, Fromm retourna à son bureau pour affronter les putschistes. Il était autour de 22 heures lorsque sa carrure massive apparut sur le pas de la porte de son bureau. Il lança un regard méprisant aux chefs de l’insurrection, complètement abattus. «Ainsi donc, messieurs, déclara-t-il, je vais maintenant vous faire ce que vous m’avez fait cet après-midi. » Ainsi que Gisevius l’indiqua plus tard, les conjurés avaient en fait simplement enfermé Fromm chez lui avec des sandwiches et du vin. Fromm était moins naïf. Il lui fallait sauver sa peau. Du moins le pensait-il. Il dit aux putschistes qu’ils étaient en état d’arrestation et exigea qu’ils rendissent toutes leurs armes. Beck demanda à conserver la sienne « pour son usage personnel ». Fromm lui ordonna de s’en servir tout de suite. Beck répondit que, pour l’heure, il pensait aux jours précédents. Fromm le pressa de s’exécuter. Beck pointa l’arme sur sa tempe, mais ne réussit qu’à s’égratigner. Fromm accorda aux autres quelques instants s’ils souhaitaient coucher par écrit leurs derniers mots. Hœpner profita de l’occasion et s’assit au bureau d’Olbricht ; ce dernier fît de même. Pendant ce temps, Beck, qui chancelait sous l’effet du coup de feu oblique qu’il s’était tiré dans la tête, refusa de se laisser arracher le pistolet des mains et insista pour qu’on lui permît de recommencer. Là encore, il ne parvint qu’à s’infliger une blessure profonde. Tandis que Beck se contorsionnait sur le sol, Fromm quitta la pièce et apprit qu’une unité de la garde avait investi la cour du Bendlerblock. Il savait aussi que Himmler, le nouveau commandant de l’armée de réserve, était en route. Il n’y avait pas une minute à perdre. Il regagna son bureau au bout de cinq minutes et annonça qu’il avait organisé une cour martiale au nom du Führer. Mertz, Olbricht, Haeften et « ce colonel dont je ne dirai plus le nom » avaient été condamnés à mort. « Prenez quelques hommes et exécutez la sentence tout de suite, en bas, dans la cour », ordonna-t-il à un officier en faction. Stauffenberg essaya de prendre toute la responsabilité sur ses épaules, déclarant que les autres n’avaient fait qu’exécuter ses ordres. Fromm ne dit mot. Les quatre hommes furent conduits au lieu d’exécution. Hœpner, d’abord condamné lui aussi, mais temporairement épargné à la suite d’un entretien privé avec Fromm, fut emmené en captivité. Jetant un coup d’œil sur un Beck moribond, Fromm commanda à l’un des officiers de l’achever. L’ancien chef de l’état-major général fut traîné sans façon dans la pièce voisine et abattu.
Les condamnés furent rapidement escortés jusque dans la cour, où les attendait déjà un peloton de dix hommes choisis
Weitere Kostenlose Bücher