La chance du diable
chef en France, et impliqué dans le complot depuis longtemps, était le nouveau commandant en chef de l’armée de terre. Congédié par Hitler au début de l’année 1942 avec interdiction de porter l’uniforme, le général Hœpner, censé succéder à Fromm, arriva vers 16 h 30 en costume civil, une mallette à la main : elle contenait son uniforme, qu’il passa à nouveau dans la soirée.
À la Bendlerstrasse, le désordre allait croissant. Comploter un coup d’État dans un État policier n’est pas une mince affaire. Mais, même dans les conditions du moment, tout cela sentait largement son dilettantisme. Trop de paramètres avaient été négligés. On avait trop peu prêté attention à des détails infimes, mais importants, de calendrier, de coordination et, enfin et surtout, de communications. Rien n’avait été fait pour détruire le centre de communications du QG de Hitler ou le mettre durablement hors service. Rien n’avait été prévu pour prendre le contrôle immédiat des stations de radio à Berlin et dans les autres villes. Aucun communiqué ne fut diffusé par les putschistes. Les chefs du parti et des SS ne furent pas arrêtés. Gœbbels lui-même, le maître de la propagande, resta libre de donner de la voix. Trop de conjurés étaient occupés à donner des ordres ou à les exécuter. Il y eut trop d’incertitude, et trop d’hésitation. On avait tout fondé sur l’assassinat de Hitler. On avait tenu pour acquis que si Stauffenberg parvenait à faire exploser sa bombe, c’en serait fini de Hitler. Sitôt que cette prémisse fut contestée, puis infirmée, le coup d’État improvisé ne tarda pas à s’effondrer. En l’absence de confirmation de la disparition du Führer, l’élément crucial fut qu’il y avait trop de loyalistes, trop d’hésitants, trop de gens qui avaient beaucoup à perdre en prenant le parti des conjurés.
Stauffenberg avait beau protester que Hitler était mort, les dépêches affluaient qui semblaient indiquer qu’il était indemne. Quelle que soit la vérité, déclara Beck, « pour moi cet homme est mort ». Toutes ses actions ultérieures allaient être dictées par cette conviction. Pour la réussite du complot, cependant, ce n’était guère suffisant. En milieu de soirée, il était de plus en plus clair pour les insurgés que leur coup était un fiasco irréparable. « Quel beau gâchis », avait marmonné le feld-maréchal Witzleben à Stauffenberg en arrivant à la Bendlerstrasse autour de 20 heures.
Au QG de Hitler, il apparut vite que la tentative d’assassinat était le signal d’une insurrection militaire et politique contre le régime. En milieu d’après-midi, Hitler avait confié le commandement de l’armée de réserve à Himmler. Keitel avait informé les districts militaires de l’attentat contre le Führer, mais il avait ajouté qu’il vivait encore et qu’il ne fallait en aucun cas obéir aux ordres des conjurés. On pouvait trouver des loyalistes jusqu’à la Bendlerstrasse, le siège du soulèvement. L’officier de communications y reçut lui aussi l’ordre de Keitel. Dans la soirée, alors que la situation des conjurés devenait de plus en plus désespérée, il signalait que les ordres qu’il lui fallait transmettre en leur nom n’étaient pas valables. Entre-temps, les aides de camp de Fromm s’employaient à répandre la nouvelle, dans le bâtiment, que Hitler était toujours en vie et à rassembler un certain nombre d’officiers prêts à défier les conjurés, dont les partisans déjà peu nombreux et hésitants, à l’intérieur de la Bendlerstrasse comme à l’extérieur, diminuaient maintenant à vue d’œil. Dès que la nouvelle fut confirmée de la survie de Hitler, le nombre d’unités soutenant le coup d’État se réduisit.
Tel fut aussi le cas à Paris. Le commandant militaire, le général Karl Heinrich von Stülpnagel, et ses officiers subalternes avaient fermement soutenu les insurgés. Mais le commandant suprême du front ouest, le feld-maréchal von Kluge, hésitait comme toujours. L’appelant depuis Berlin, Beck tenta vainement de le persuader de se rallier ausoulèvement. « Kluge, dit Beck à Gisevius en raccrochant le récepteur. C’est là qu’il vous attend ! » Sitôt qu’il eut appris l’échec de la tentative d’assassinat, Kluge contra les ordres de Stülpnagel, qui avait demandé de faire arrêter tous les membres des SS, de la Sûreté et de la
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