La chance du diable
Ernst Remer, alors âgé de trente-deux ans. Partisan de Hitler jusqu’au fanatisme, il crut au départ à la fiction des conjurés, à savoir qu’ils réprimaient le soulèvement contre le Führer de groupes de SS et de membres du parti en dissidence. Lorsque son supérieur, le général de division Paul von Hase, qui commandait la ville de Berlin, lui ordonna de boucler le quartier du gouvernement, Remer obéit sans broncher. Très vite, cependant, il soupçonna qu’on ne lui avait pas dit la vérité : qu’il ne s’agissait pas de réprimer un putsch de chefs du parti et des SS contre Hitler, mais d’un coup d’État militaire d’officiers rebelles contre le régime. Comme par un fait exprès, dans l’après-midi, le lieutenant Hans Hagen, officier d’instruction national-socialiste chargé d’inculquer aux troupes les principes nazis, avait donné un cours à son bataillon au nom du ministre de la Propagande. Hägen se servit alors de son contact fortuit avec Remer pour contribuer à miner la conjuration contre Hitler. Par l’intermédiaire du Gauleiter adjoint de Berlin, Gerhard Schach, il persuada Gœbbels de parler directement à Remer, de le convaincre de ce qui se passait vraiment et de le rallier. Puis, toujours en passant par un intermédiaire, Hägen rechercha Remer, joua sur les doutes qui avaient déjà germé dans son esprit quant à l’action dans laquelle il était engagé et l’invita à passer outre aux ordres de son supérieur pour aller voir Gœbbels. À ce stade, Remer se demandait encore si Gœbbels n’était pas de mèche avec les auteurs d’un coup de force à l’intérieur du parti contre Hitler. S’il faisait une erreur, cela pouvait lui coûter la tête. Après quelque hésitation, il consentit néanmoins à rencontrer le ministre de la Propagande.
Gœbbels lui rappela son serment au Führer. Remer protesta de sa loyauté envers Hitler et le parti, mais ajouta que le Führer était mort. Par voie de conséquence, il devait exécuter les ordres de son commandant, le général de division von Hase. « Le Führer est en vie ! répliqua Gœbbels. Je lui ai parlé il y a tout juste quelques minutes. » Incertain, Remer vacillait visiblement. Gœbbels lui proposa de le mettre en contact avec Hitler. Il était autour de 19 heures. En quelques minutes, la communication avec la « Tanière du Loup » fut établie. Hitler demanda à Remer s’il reconnaissait sa voix. Tendu et concentré, Remer dit que oui. « Vous m’entendez ? Je suis donc en vie ! La tentative a échoué. Une minuscule clique d’officiers ambitieux a voulu se débarrasser de moi. Mais nous tenons maintenant les saboteurs du front. Nous allons sans tarder expédier ce fléau. Je vous confie personnellement pour mission de rétablir le calme et la sécurité dans la capitale du Reich. À cette fin, vous êtes placé sous mon autorité personnelle jusqu’à l’arrivée du Reichsführer-SS dans la capitale ! » La conviction de Remer était faite. La seule chose que Speer, qui était dans la pièce, put entendre, ce fut : « Jawohl, mon Führer... Jawohl, à vos ordres, mon Führer. » Remer devint responsable de la sécurité à la place de von Hase. Il devait suivre toutes les instructions de Gœbbels.
Remer demanda à Gœbbels de s’adresser à ses hommes. Le ministre prit la parole devant le bataillon de gardes rassemblé dans le jardin de sa résidence autour de 20 h 30. Il eut vite fait de les rallier. Près de deux heures auparavant, il avait fait diffuser un communiqué à la radio, expliquant qu’il y avait eu un attentat contre Hitler, mais que le Führer n’avait eu que des égratignures, qu’il avait reçu Mussolini dans l’après-midi et qu’il avait déjà repris le travail. Pour ceux qui hésitaient encore, la nouvelle de la survie de Hitler fut un élément déterminant. Le cordon isolant le quartier du gouvernement fut levé entre 20 et 21 heures. Le bataillon de la garde était maintenant disponible pour d’autres missions : traquer les conjurés dans leur quartier général de la Bendlerstrasse. L’apogée de la conspiration était passé. Le destin des conjurés était scellé.
Avant même d’apprendre par le communiqué de Gœbbels que Hitler avait survécu, certains cherchaient déjà à se tirer d’affaire. En milieu de soirée, le groupe des conjurés du Bendlerblock était quasiment tout ce qui restait du soulèvement. Le bataillon
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