La chance du diable
tant que civils et exécutés dans les deux heures suivant leur condamnation. « Il faut les pendre tout de suite, sans miséricorde », déclara-t-il. Il donna l’ordre de mettre en place une « cour d’honneur » militaire, dans laquelle siégeraient les généraux les plus élevés en grade (entre autres Keitel, Rundstedt – qui en serait le président – et Guderian), pour chasser honteusement tous ceux qui avaient trempé dans le complot. Quant à ceux que le tribunal du peuple condamnerait ensuite à mort, ils seraient pendus en prison habillés comme de vulgaires criminels. Il évoqua en termes élogieux les purges opérées par Staline dans les rangs de ses officiers. « Le Führer est extraordinairement furieux contre les généraux, surtout ceux de l’état- major, nota Gœbbels après l’avoir vu le 22 juillet. Il est absolument déterminé à faire un exemple sanglant et à éradiquer une Loge maçonnique qui n’a cessé de s’opposer à nous et qui n’attendait que le moment de nous donner un coup de poignard dans le dos à l’heure la plus critique. Le châtiment qui doit maintenant être administré doit avoir des dimensions historiques. »
Hitler s’était indigné que le général Fromm eût péremptoirement fait exécuter Stauffenberg et les autres chefs de file de la tentative de coup d’État par un peloton d’exécution. Il donna des instructions afin que les autres conjurés capturés fussent cités à comparaître devant le tribunal du peuple, dont le président, Roland Freisler, était un nazi fanatique. Alors que ses sympathies idéologiques de jeunesse allaient à l’extrême gauche, il s’était dévoué depuis le début des années 1920 à la cause völkisch et prétendait juger comme le « Führer jugerait lui-même ». De son point de vue, le tribunal du peuple était expressément un « tribunal politique ». Sous sa présidence, le nombre de condamnations à mort était passé de cent deux en 1941 à deux mille quatre-vingt-dix-sept en 1944. Qu’il eût déjà acquis la réputation de « juge sanguinaire » n’avait rien d’étonnant. Récapitulant les commentaires de Hitler lors de leur récente entrevue, Gœbbels observa que les personnes impliquées dans le complot devaient être traduites devant le tribunal du peuple et « condamnées à mort ». Freisler « saurait trouver le ton juste pour s’en occuper ». Peut-être parce qu’il se souvenait de la clémence du tribunal de Munich qui, en 1924, à la suite de sa tentative de putsch, lui avait permis de transformer son procès en triomphe personnel en termes de propagande, Hitler était par-dessus tout soucieux qu’on ne laissât pas aux conjurés « le temps de prononcer de longs discours » pour se défendre. « Mais Freisler y veillera. C’est notre Vychinski », ajouta-t-il dans une allusion au sinistre procureur de Staline lors des grands procès des années 1930.
Gœbbels n’eut aucun mal à persuader Hitler que Fromm, le supérieur direct de Stauffenberg, n’avait agi aussi rapidement que pour essayer de masquer sa complicité. De fait, dans la circulaire qu’il avait adressée aux Gauleiter le 20 juillet en milieu de soirée, Martin Bormann avait déjà mis son nom sur la liste des personnes à arrêter comme membres de la « bande réactionnaire de criminels » qui se trouvait derrière la conspiration. Après l’écrasement du soulèvement au Bendlerblock puis l’exécution rapide de Stauffenberg, d’Olbricht, de Haeften et de Mertz von Quirnheim, Fromm s’était rendu au ministère de la Propagande et avait demandé à s’entretenir au téléphone avec Hitler. Au lieu de lui passer la communication, Gœbbels l’avait fait asseoir dans une autre pièce pendant qu’il téléphonait lui-même au QG du Führer. Il eut sans tarder la décision qu’il souhaitait. Aussitôt, il fit placer sous bonne garde l’ancien commandant en chef de l’armée de réserve. Après plusieurs mois de prison et une parodie de procès devant le tribunal du peuple, Fromm avait été reconnu coupable de lâcheté sur la base de faits inventés de toutes pièces (malgré le souci, tout sauf héroïque, de sauver sa peau qui avait dicté sa conduite au Bendlerblock, le 20 juillet, il n’était pas un lâche) et mourrait en mars 1945 sous les balles d’un peloton d’exécution.
Dans la confusion qui régnait au Bendlerblock durant la nuit du 20 juillet, on avait
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