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La chance du diable

La chance du diable

Titel: La chance du diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ian Kershaw
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par une destruction militaire totale.
    Pour les innombrables victimes de Hitler à travers l’Europe, les avancées, si impressionnantes qu’elles eussent été, de l’Armée rouge et des forces anglo-américaines à l’ouest et au sud, n’étaient pas encore tout à fait suffisantes pour mettre fin à la guerre et, avec elle, aux souffrances incommensurables infligées par le régime nazi. En réalité, la misère humaine n’avait pas encore atteint son apogée. Elle devait aller crescendo au cours des mois suivants.
     
    Ceux qui avaient risqué leur vie dans le complot contre Hitler savaient parfaitement qu’ils agissaient sans le soutien des masses. En cas de succès, les conjurés devaient espérer que la fin rapide de la guerre rallierait l’immense majorité de leurs compatriotes – qui, pour la plupart, avaient été à un moment ou à un autre des admirateurs de Hitler  – et qu’on pourrait ainsi éviter l’émergence d’une nouvelle « légende du coup de poignard dansle dos   » (comme celle qui avait empoisonné la vie politique allemande après la Première Guerre mondiale). S’ils échouaient, les conjurés savaient qu’ils n’auraient pas une once de soutien dans le peuple, que leur acte passerait pour une trahison infâme, et qu’ils se couvriraient d’ignominie aux yeux de la masse de la population.
    Les dirigeants nazis n’abandonnaient cependant rien au hasard. Quelques heures après l’attentat de Stauffenberg, Siegfried Uiberreither, Gauleiter de Styrie, demanda si l’on envisageait des manifestations publiques de soutien à Hitler. On lui répondit que les « rassemblements de loyauté   » étaient les bienvenus et que, à la lumière de sa demande, des instructions seraient bientôt adressées à tous les Gauleiter. Celles-ci partirent le lendemain. Elles prônaient d’immenses rassemblements de masse en plein air, où le peuple dirait « sa joie et sa satisfaction que le Führer ait miraculeusement réchappé [de l’attentat] ». Ces rassemblements eurent lieu au cours des jours suivants dans les villes et métropoles allemandes. Des centaines de milliers d’Allemands ordinaires et des représentants de la Wehrmacht se déclarèrent « spontanément   » indignés et révoltés par 1’« ignoble attentat contre la vie du Führer   », mais aussi soulagés et heureux qu’il eût survécu.
    On retrouvait les mêmes sentiments que dans les premiers sondages d’opinion effectués par la Sûreté et transmis par Ernst Kaltenbrunner à Martin Bormann après que la nouvelle de l’attentat s’était propagée comme un feu de brousse. Un premier rapport, compilé le 21 juillet, fit état de réactions uniformes à travers le peuple allemand tout entier   : « vive consternation, choc, indignation profonde et fureur   ». Dans certains districts ou dans certaines sections de la population notoirement critiques à l’égard du nazisme, on avait même vu s’exprimer des sentiments analogues   ; la tentative d’assassinat n’avait pas inspiré ne fût-ce qu’un vague mot de sympathie. Dans certaines villes, assurait le rapport, des femmes avaient éclaté en sanglots dans les boutiques ou en pleine rue lorsqu’elles avaient appris ce qui s’était passé. « Grâce à Dieu, le Führer est en vie   », entendait-on souvent répéter. Beaucoup étaient prêts à accepter la version de Hitler, quand il assurait voir dans sa survie un signe de la Providence et l’indication que, malgré tous les revers, la guerre trouverait une issue victorieuse. Ils étaient très nombreux, ajoutait le document, à associer à la « personne du Führer des notions mystiques et religieuses   ».
    D’aucuns en conclurent aussitôt que des agents ennemis se trouvaient derrière la tentative d’assassinat, ce qui déclencha une nouvelle poussée de haine contre les Britanniques. Après le discours de Hitler  – diffusé si tard que la plupart des gens étaient déjà au lit, mais repris le 21 juillet, en début d’après-midi  – , la fureur se retourna contre ceux qui passaient pour des traîtres de l’intérieur. On s’indignait que l’attentat contre le Führer fût l’œuvre d’officiers de la Wehrmacht et, comme Hitler lui-même, on imputait les désastres militaires de l’Allemagne à cette traîtrise. On comptait sur Heinrich Himmler, l’« homme à poigne   », pour « nettoyer   » implacablement le corps des officiers. D’aucuns disaient même

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