La chance du diable
1 heure du matin, Hitler a fait un discours à la radio. Il est tout à fait remarquable que Hitler ait répété six fois qu’il ne s’agissait que d’une « minuscule clique ». L’ampleur de ses mesures dément cependant ces allégations. On n’a pas besoin d’une armée entière pour éliminer une « minuscule cabale ». » Le garçon tenait son journal pour lui et ne le montrait même pas à ses parents.
Un autre ancien admirateur de Hitler dont l’enthousiasme s’était depuis refroidi se limita à ce propos cyniquement ambigu : « Tentative d’assassinat du Führer. La « Providence l’a sauvé », et nous pouvons donc croire à la victoire. » Les lettres aux proches étaient aussi « codées » à des fins de sécurité. Le 21 juillet, dans une lettre adressée depuis Paris à sa femme canadienne restée en Allemagne, un homme cultivé évoquait les événements de la veille en ces termes : « Pour certains, la nuit n’a certainement pas été très bonne, mais il nous faut rendre grâces au ciel que l’affaire se soit terminée ainsi. Car comme je l’ai toujours souligné, seul Adolf Hitler est en mesure de donner à cette guerre la conclusion désirée ! »
Jusque dans les rapports officiels venus de province, on trouve des signes que la condamnationunanime évoquée par la police cachait des voix discordantes et que le silence d’une grande majorité de la population était éloquent. Ainsi, un rapport de Haute-Bavière reconnaissait franchement qu’une « partie de la population se serait réjouie du succès de la tentative d’assassinat, avant tout parce qu’elle en aurait espéré une fin plus proche de la guerre ». Un autre rapport se fit l’écho de la dangereuse remarque marmonnée par une femme dissimulée dans l’angle d’un sombre abri antiaérien : « Si seulement ils l’avaient eu ! »
Sur le front, également, les avis sur l’attentat étaient plus partagés que les apparences ne le suggéraient. Insinuer qu’on regrettait que Hitler en eût réchappé était s’exposer à la catastrophe. Les lettres aux siens passaient par la censure et risquaient d’être interceptées. Le plus sûr était de se tenir à carreau. La légère recrudescence des critiques à l’égard du régime en août 1944 en est d’autant plus remarquable, et plus éloquente encore quand on sait que les lettres exposaient leurs expéditeurs à des châtiments extrêmes. Un soldat eut bien de la chance que sa lettre du 4 août ait échappé à la vigilance du censeur. « Tu parles dans ta lettre de l’attentat contre le Führer, écrivait-il. En effet, nous en avons entendu parler le jour même. Malheureusement, les hommes ont joué de malchance. Sans quoi il y aurait déjà une trêve, et nous serions sortis de ce gâchis. » D’autres fois, la censure repéra des propos aussi audacieux.
Pour l’auteur de la lettre, la peine de mort en était la conséquence quasi certaine.
Ainsi que le révélèrent les réactions à l’attentat, les liens entre le peuple allemand et Hitler s’étaient certes considérablement relâchés, mais ils étaient loin d’être rompus au milieu de l’année 1944. L’échec du complot de Stauffenberg avait valu à Hitler des manifestations de soutien qui, pendant un temps, renforcèrent incontestablement le régime. Le sentiment qu’essayer de tuer le chef de l’État, à une époque où la nation luttait pour son existence même, était un crime odieux était loin d’être limité aux nazis les plus fervents. Les milieux catholiques de la population, réputés pour la tiédeur de leur soutien à un régime qui, à peine né, avait mené une guerre d’usure contre l’Église, figuraient en bonne place dans les immenses manifestations de loyauté à Hitler organisées fin juillet. Les deux principales Églises continuèrent de condamner l’attentat même après la guerre. Au début des années 1950, un tiers encore des personnes interrogées, suivant les enquêtes d’opinion, persistaient à réprouver la tentative d’assassinat du 20 juillet 1944. Mais, par-dessus tout, les voix entendues par les informateurs de la police dans les premiers jours suivant la tentative d’assassinat étaient celles des masses des fidèles qui allaient en s’amenuisant. Elles avaient parlé haut et fort pour la dernière fois. On ne peut qu’essayer de deviner quelle proportion de la population (ou même du parti
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