La chance du diable
ont montré le même courage. En tout et pour tout, cela a pris vingt-cinq minutes. Le bourreau ne s’est pas départi de son air narquois et n’a cessé de plaisanter. La caméra a tourné sans interruption, car Hitler voulait voir et entendre comment ses ennemis étaient morts. Il a pu voir la scène, le soir même, à la chancellerie du Reich. C’était son idée. Il avait demandé à voir le bourreau, et avait personnellement réglé les détails de la procédure : « Je veux les voir pendus, pendus comme des quartiers de viande. » Ce sont ses mots.
12 La dernière lettre de Helmuth Graf von Moltke
Le trait dominant de cette lettre extraordinaire est la profondeur des convictions chrétiennes de Moltke (associées à une certaine forme de socialisme). Non content de l’animer et de le motiver, celles-ci lui donnaient un sentiment de supériorité sur le nazisme et ses représentants qui le tenaient dans leurs griffes et devaient bientôt l’exécuter.
11 janvier 1945
[...] Le drame des procès de guerre, en dernière analyse, tient à ceci : lors du procès, aucune accusation tangible n’a pu être étayée, et toutes ont été abandonnées. Oubliées. Ce qui fait tellement peur au III e Reich qu’il doit envoyer cinq hommes – plus tard, ils seront sept – à la mort se réduit en fin de compte à ceci : un simple particulier, ton mari, dont ils ont établi qu’il avait parlé avec deux ecclésiastiques des deux confessions, avec un jésuite et quelques évêques. Ils ont parlé, sans intention de faire quoi que ce soit de concret – et cela a été confirmé – de choses « qui sont du ressort exclusif du Führer ». L’objet de la discussion : en aucune façon des questions d’organisation, en aucune manière l’organisation du Reich – toutes ces accusations ont été abandonnées au cours duprocès, et Schulze {4} l’a déclaré expressément dans son résumé (« ... diffère de tous les autres cas en ce qu’il n’a été question ni de force ni d’aucune organisation dans la discussion... »). Les points en discussion concernaient plutôt les exigences pratiques et éthiques du christianisme. Rien de plus ; c’est pour cela seul que nous avons été condamnés. Freisler m’a dit dans une de ses tirades : « Nous et le christianisme ne sommes pareils que sur un point : nous exigeons la personne tout entière ! » Je ne sais pas si ceux qui étaient là l’ont entendu, car c’était un genre de dialogue entre Freisler et moi. Un dialogue mental, parce qu’il ne m’était pas possible de m’exprimer vraiment. À cette occasion, nous nous sommes percés mutuellement à jour, de part en part. De toute la bande, seul Freisler m’a percé à jour, et de toute la bande lui seul sait pourquoi il doit me tuer. Rien à voir avec une « personne compliquée » ou des « pensées compliquées », ou encore une « idéologie », simplement : « La feuille de vigne est tombée. » Mais juste pour Herr Freisler. Nous nous sommes parlé, pour ainsi dire, dans un vide [...].
La phrase décisive de ce procès a été : « Herr Graf, il y a une chose que le christianisme et nous, les nazis, avons en commun, et uniquement celle-ci : nous exigeons l’être humain tout entier. » A-t-il bien compris ce qu’il disait là ? Pense un peu comme Dieu a miraculeusement préparé ce vase indigne : au moment où le danger existait que je ne me laisse entraîner dans la préparation active du putsch – car Stauffenberg est venu voir Peter (Graf Yorck von Wartenburg) le 10 janvier 1944 dans la soirée – , j’étais sorti, en sorte que je suis et demeure libre de toute relation avec l’usage de la force. — Puis il m’inculque ce trait socialiste qui me libère, moi grand propriétaire foncier, de tout soupçon de représenter des intérêts. — Puis il m’humilie comme je n’ai jamais été humilié auparavant, en sorte que j’ai dû perdre tout orgueil, si bien qu’après trente-huit ans je comprends enfin mon état de pécheur et j’ai appris à implorer son pardon et à m’en remettre à sa grâce. Puis il me permet de venir ici, où j’ai pu te voir calmement et sereinement, et libérer ma pensée de toi et de nos fils en bas âge, c’est-à-dire me libérer de pensées inquiétantes. Puis il me donne le temps et l’occasion de mettre en ordre tout ce qui pouvait
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