La chapelle du Diable
referma les yeux mais de bonheur cette fois. Marie-Ange eut un long soupir de
satisfaction et, avec Pierre, observa le paysage. Julianna ne songea pas à
chicaner Yvette de l’avoir réveillée, au contraire...
T ROISIÈME PARTIE
P
ierre se dépêcha de
s’habiller. C’était une journée si spéciale. La veille, sa mère lui avait
préparé les vêtements qu’il devait porter. Bien pliés sur la chaise
l’attendaient un pantalon court, une chemise à carreaux et des bas noirs qui lui
montaient jusqu’aux genoux. Ses souliers bien nets et reluisants étaient cordés
à côté. Pierre essaya de calmer sa nervosité et alla se poster à la fenêtre. Il
huma à pleins poumons l’air frais de la campagne et admira les champs qui
s’étendaient à perte de vue. Sous les combles, leur maison comprenait quatre
petites pièces. Comme son frère Mathieu, il avait sa chambre à lui tout seul.
Yvette et Laura en partageaient une, et la quatrième accueillait leur tante
Marie-Ange. Jean-Baptiste était encore dans un berceau dans la chambre de ses
parents située en bas, près de la cuisine. Pierre éprouvait tant de bonheur à
être déménagé ici. Cela faisait plusieurs semaines déjà qu’ils avaient quitté
Montréal et il venait de vivre le plus bel été de sa vie. Toutes ses journées,
il les passait dehors à jouer. Il partait à travers champs en courant et allait
rejoindre la maison de son parrain située de l’autre côté du bois. Quelle
sensation de liberté il éprouvait lorsque, du plus vite qu’il le pouvait, il
remontait la petite vallée, descendait jusqu’au ruisseau et le traversait en
équilibre sur des pierres grises ! Le vent lui chatouillait les joues, jouait
dans ses cheveux. Quel plaisir lorsqu’il s’arrêtait pour cueillir des poignées
de bleuets et les engouffrer d’un seul coup dans sa bouche ! Quelquefois, il
s’immobilisait. Fermant les yeux, il écoutait ce magnifique langage de la
nature, quelques oiseaux, un bourdonnement, un murmure de feuillage... Pas une
fois son chemin ne l’ennuya. Il y avait toujours quelque chose à découvrir, un
petit animal, uninsecte bizarre, une piste mystérieuse, une
plante inconnue. Seul le sentier dans la forêt l’effrayait. Pour se donner du
courage, il l’empruntait en chantant à voix haute. On lui avait dit que le fait
de chanter fort pouvait tenir à l’écart les ours et il craignait tant d’en
rencontrer un et de se faire dévorer tout rond ! Par chance, il n’y avait pas
long à faire et l’étroit chemin débouchait rapidement derrière la ferme de son
oncle. Près de la grange, il y retrouvait son cousin Delphis qui l’attendait
avec impatience. Pierre ralentissait son allure, empruntant un pas dégagé comme
s’il venait de flâner en chemin. Son cousin Gagné n’avait qu’un an de moins que
lui et ils s’étaient bien accordés dès leur première rencontre. Pierre se
souvenait encore de la drôle d’impression qu’il avait ressentie en découvrant sa
parenté. Il n’avait aucun souvenir d’eux, il était bien trop jeune lorsqu’ils
avaient quitté le Lac-Saint-Jean. Évidemment, ses cheveux rouges comme ceux de
son père avaient fait sensation.
Ceux de ses frères et sœurs tiraient beaucoup plus sur le blond et se
teintaient à peine de reflets roux. Mais sa chevelure à lui était d’une vraie
couleur carotte. Entre cousins, il découvrit le plaisir de partager des jeux.
Avec Yvette cela avait toujours été difficile, tout virait à la confrontation.
De toute façon, c’était une fille. Et son frère Mathieu... et bien... Pierre
était mal à l’aise avec lui. Il vous regardait d’une si étrange manière. En
plus, tout ce qui faisait ricaner Pierre, comme un malencontreux pet pendant la
messe, faisait à peine sourciller Mathieu. Son cousin et lui avaient des fous
rires inextinguibles rien qu’à prononcer le mot. Delphis devait l’attendre. En
ce matin de septembre 1934, ils ne pourraient jouer comme à l’accoutumée. Ils
devaient se rendre à l’école du rang pour la rentrée des classes. Si au moins,
ils n’avaient pas été obligés de traîner chacun leur petite sœur avec eux !
Sophie et Yvette allaient être en première année et les deux cousins avaient la
responsabilité de les surveiller.
Pierre se rendit compte qu’il risquait d’être en retard pour son premier jour
de
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