La chapelle du Diable
classe. Yvette la parfaite, comme il surnommait sasœur,
devait être prête. Il se dépêcha de s’habiller et dévala les escaliers rejoindre
les autres. Sa mère l’attendait à la cuisine, un bol de gruau tiédi sur la
table. Yvette mangeait déjà, le visage fermé et boudeur. Jean-Baptiste dormait
dans son berceau. Mathieu semblait encore dans la lune et Laura se faisait prier
de prendre une cuillerée par Marie-Ange. Comme d’habitude, son père était déjà
parti travailler sur la ferme.
— Une bouchée pour matante May, disait sa tante en ouvrant la bouche toute
grande.
Laura trempa à peine les lèvres dans le gruau.
— Z’aime pas ça.
Marie-Ange s’impatienta. Elle laissa retomber la cuillère sur la table. Laura
recommençait ses sempiternelles jérémiades comme à tous les repas.
— Que c’est que ça peut faire que t’aimes pas ça, du gruau, tu manges pour
grandir, Laura Rousseau, pas pour le plaisir ! Tu vas rester chicotte toute ta
vie !
— Pierre pis Yvette, je vous ai préparé un bon dîner, dit Julianna. Je l’ai mis
dans ce gros sac de coton, oubliez-le pas !
— Comment a s’appelle déjà notre maîtresse d’école, maman ? demanda Yvette
tandis que Pierre prenait place à la table.
— Mademoiselle Potvin, répondit-elle.
Julianna alla prendre le peigne au-dessus du poêle et mit un peu d’eau dans un
bol. Elle s’approcha de son fils et, trempant le peigne, elle entreprit de
lisser la tignasse rouge.
— Delphis dit qu’elle est laide comme un pou pis qu’elle a toujours un air de
bœuf, fit remarquer Pierre tout en attaquant son déjeuner.
— Allons Pierre, chus certaine que mademoiselle Potvin est ben gentille, le
reprit sa mère. Tu n’auras qu’à être poli pis sage.
— J’ai pus faim, maman, dit tout à coup Yvette en repoussant son bol qu’elle
n’avait presque pas touché.
Une boule de nervosité l’étreignait et l’empêchait d’avaler
quoi que ce soit. Yvette détestait l’inconnu. Elle aimait contrôler son univers
et, pour ce faire, il lui fallait en connaître les paramètres. Commencer sa
première année d’école lui semblait une épreuve insurmontable. Ces derniers
jours, Delphis n’avait cessé de leur décrire leur future enseignante comme une
sorte de sorcière. Quand elles avaient joué ensemble, la veille, Sophie et elle
en avaient longuement parlé. Assises près de la mare aux grenouilles, les deux
cousines s’étaient tenues par la main et s’étaient juré d’être braves et de ne
pas pleurer. Mais ce matin, ce courage lui manquait. Pierre se leva de sa
chaise.
— Moé itou, j’ai pus faim.
— Vous partirez pas le ventre vide ! s’écria leur mère.
— J’veux pas y aller de toute façon, déclara Yvette, tout à coup, un air buté
sur le visage.
Marie-Ange leva les yeux au ciel.
— Ah non, tu vas pas nous recommencer tes saintes lamentations !
— J’veux pas aller à l’école, un point c’est tout ! s’écria Yvette en se levant
de sa chaise et en tapant du pied.
Si François-Xavier n’avait pas été à l’étable de monsieur Dallaire en train de
s’activer aux corvées, il aurait certainement fait remarquer à quel point Yvette
ressemblait à sa mère. Le même petit nez en l’air, les yeux lançant des éclairs.
Julianna se reconnut dans cette version miniature d’elle. Elle sourit.
— Allons Yvette, depuis quand t’as peur de quelque chose ?
— J’ai pas peur. J’ai juste pas envie…
— Ah bon !
Pierre, fort de son expérience de ses deux premières années d’école à Montréal,
essaya de la rassurer. C’était très agréable, l’école. Il y avait plein de beaux
livres, des belles images et la maîtresse vous faisait faire plein de beaux
projets. À son école de Montréal, il avait vu une collection de papillons rares,
épinglés dans un cadre de vitre.Il y en avait un si beau, d’un
bleu royal, il ne se souvenait plus de son nom.
— Ben moé, chus sûre que j’aime pas ça, l’école, dit Yvette.
Marie-Ange s’impatienta.
— Yvette, tu changes de face pis tu vas à l’école un point c’est toute ! On a
le lavage qui nous attend pis y a apparence de pluie.
La tante poussa littéralement les deux enfants dehors.
— Attendez, s’écria Julianna, votre bouche est sale !
Elle mouilla de salive le coin de son tablier.
— Voilà, fit-elle après avoir
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