La chapelle du Diable
débarbouillé ses deux enfants. Votre maîtresse va
vous adorer.
Pierre se défit de l’étreinte de sa mère. Souriant, il se mit en route. Yvette
lui emboîta le pas, la tête baissée.
— Pierre, cria Julianna, attends ta sœur !
La larme à l’œil, Julianna regarda s’éloigner ses deux plus vieux.
Découragée, Marie-Ange rabroua sa sœur.
— Franchement Julianna, faire simple pour des enfants qui vont en classe. Tu
les couves ben trop.
— Marie-Ange, laisse-moé donc élever mes enfants à ma manière ! se fâcha
Julianna.
La jeune femme défit son tablier et, d’un air rageur, elle le lança sur une
chaise en ajoutant :
— Finis de t’occuper du déjeuner, je monte faire les lits !
« Non, mais quel caractère ! » se dit Marie-Ange. Elle fit une nouvelle
tentative afin de convaincre Laura d’avaler son repas. La petite pinça les
lèvres et refusa obstinément d’ouvrir la bouche.
« Pis a l’a donné à ses filles ! »
À l’étable, François-Xavier aperçut, par la porte ouverte, son fils et sa fille
en route pour l’école. Il leur fit signe de la main et se remit à sonouvrage. Il avait tant à faire pour préparer leur premier hiver
à Saint-Ambroise. Il n’en avait pas encore parlé avec Julianna, mais il serait
obligé de monter aux chantiers. Cela n’avait rien de réjouissant, hélas, il ne
pourrait faire autrement. Alors il devait mettre les bouchées doubles en
prévision de sa longue absence. Surtout qu’il devait s’assurer du bien-être des
Dallaire en même temps. La santé de monsieur Dallaire n’était pas très bonne.
Quand Léonie lui avait suggéré de louer la maison de son fils, le vieil homme
avait remercié le ciel ! Ils commençaient à craindre pour leurs vieux jours sans
enfants pour prendre soin d’eux. Ils avaient donc offert à François-Xavier de
loger gratuitement dans la deuxième maison. Moyennant un maigre salaire, il
avait été entendu qu’en échange, le jeune homme vaquerait aux travaux de la
ferme et effectuerait quelques menus services. La terre n’avait rien de
remarquable et avait été mal exploitée depuis des années. Depuis la mort de
leurs fils, le couple n’avait gardé que l’essentiel pour survivre. À peine
quelques animaux et un champ de pâturage. Le reste était à l’abandon. Les tâches
de François-Xavier n’étaient pas très lourdes. Pour commencer, cela irait. En
économisant, il pourrait songer à se trouver autre chose. En tant qu’engagé, il
avait du temps libre. Il pouvait ainsi donner un bon coup de main à son ami
Ti-Georges. Comme tous les jours, François-Xavier passerait l’après-midi
là-bas.
La ferme de son beau-frère était sur la bonne voie. Son remariage lui avait
permis d’éponger ses dettes et d’investir sur sa terre. La petite veuve Rolande
n’était pas arrivée les mains vides ! Le départ de Jean-Marie avait provoqué une
lourde perte et l’aide de François-Xavier était la bienvenue. Ses pensées
retournèrent vers son fils Pierre et il se demanda l’effet que cela lui ferait
si son enfant lui tournait le dos ainsi. Cela devait faire mal. François-Xavier
se dit qu’au moins son plus vieux était manifestement heureux de leur nouvelle
vie. Saint-Ambroise, c’était loin de ce qu’il voulait laisser à ses enfants,
mais c’était mieux qu’une enfance à Montréal. Ici, leur jardinproduirait des légumes frais. Ils avaient le grand air, de l’espace, des
découvertes, des cousins. Il sourit en prenant conscience que c’était lundi.
Certainement que sa fille Laura embarquerait en catimini dans sa charrette pour
aller avec lui chez les Gagné. C’était devenu un jeu. Une fois par semaine, afin
de décharger sa femme en cette journée de lavage, il faisait mine de ne pas voir
la petite cachée en arrière et, rendu à la ferme de son beau-frère, il feignait
la surprise en disant :
— Ah ben, j’ai-tu la berlue, moé là ? Y a une grosse souris dans ma
carriole !
Laura rigolait et se laissait déposer à terre avant de courir à la rencontre
des jumeaux qui s’étaient déclarés chevaliers servants de la fillette. Rien
d’étonnant à cela. Tout le monde adorait Laura. François-Xavier le premier. Il
ne pouvait rien refuser à l’enfant. Peut-être était-ce dû à la délicatesse de
l’enfant et au fait qu’elle avait été si malade, bébé. Il se
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