La chapelle du Diable
gros soleil et un bon vent toute la journée. Les chemises
et les pantalons avaient eu tôt fait de sécher. Elle pouvait se permettre une
pause. Laura avait accompagné son père chez Ti-Georges et Mathieu s’amusait
tranquille à chasser les papillons. Elle avait installé Jean-Baptiste à l’ombre
d’un arbre sur une couverture. Son bébé se comportait en petit prince. Quand il
voulait quelque chose, il souriait en tendant les bras, certain qu’on allait
accéder à ses moindres désirs.
Julianna repoussa une mèche de ses cheveux rendus longs et la glissa derrière
son oreille. Elle se laissa tomber près de son bébé. Ellejoua
un peu avec lui puis se mit à étudier son nouvel environnement. Elle était si
déçue... La maison n’avait rien de commun avec le château de la Pointe que son
mari avait bâti pour elle, il y avait une décennie de cela. La demeure qu’ils
louaient au couple Dallaire avait été visiblement construite avec peu de moyens.
La guerre était venue mettre fin abruptement au projet de mariage du fils aîné
de leurs propriétaires et la construction était restée inachevée. « Oh, elle
était habitable ! », comme le lui avait fait remarquer madame Dallaire. Sauf que
les planchers intérieurs étaient faits de grossières planches de bois brut
pleines d’échardes et qu’ils devaient encore grimper sur une grosse roche et des
madriers afin de pouvoir accéder à la porte d’entrée ! Le fils Dallaire n’avait
pas eu le temps de construire une galerie. François-Xavier lui avait promis d’y
remédier. Il était peu commode de risquer une chute chaque fois qu’ils entraient
chez eux. La maison ne comportait même pas de lucarne, seulement un toit
mansardé avec deux minuscules fenêtres de chaque côté. La demeure était située
un peu en retrait de celle des Dallaire, à l’extrémité ouest de la terre. Il n’y
avait aucune commodité. Pas d’électricité, rien. Julianna avait l’impression
d’être enterrée vivante.
Sur la Pointe, elle s’était sentie une châtelaine dans son domaine. À
Saint-Ambroise, des servantes étaient mieux logées qu’elle, le conte de
Cendrillon à l’envers. Même si François-Xavier et elle s’étaient réconciliés, il
y avait quelque chose de changé dans leur relation. Ce n’était plus l’amour
inconditionnel du début, celui que rien n’aurait pu ébranler. Julianna se dit
que Marie-Ange avait raison. Elle devait essayer de rendre heureux son époux.
Elle l’aimait tant… Cet amour ne rendait pas les choses plus faciles. Au moins,
son mari était beaucoup plus souriant depuis leur installation à Saint-Ambroise.
Même s’il n’était que l’engagé des Dallaire, il semblait adorer sa nouvelle vie.
Il aimait l’emmener veiller chez Ti-Georges. Ils laissaient les enfants sous la
bonne garde de Marie-Ange, attelaient le cheval et partaient en direction du
rang voisin.Julianna n’appréciait pas plus qu’il le fallait ces
soirées. Marguerite lui manquait et Rolande était si jeune, si jolie… Julianna
se sentait tellement vieille à côté d’elle. Elle restait mal à l’aise de voir
son frère se comporter en mari avec la jeune femme. Surtout que celui-ci
semblait avoir enterré sa première femme dans tous les sens du terme. Dans le
fond, cela la peinait que son frère se soit remarié si rapidement même si la
plupart des veufs avec de jeunes enfants en faisaient autant… Ti-Georges nageait
dans le bonheur avec sa jeune épouse. Était-ce ce qui la choquait le plus ? Son
frère traitait Rolande comme si elle était la merveille du monde. Tandis qu’avec
Marguerite, il n’y avait guère eu de marque d’affection. Et ce silence
concernant le départ de Jean-Marie. Ti-Georges n’admettait pas que l’on parle de
son fils aîné. C’était comme s’il n’avait jamais existé.
Elle se releva. De nouveau, elle jeta un regard anxieux vers la route. Julianna
surveillait le retour de ses deux enfants. Elle trouvait qu’ils retardaient
beaucoup trop. Elle avait hâte de savoir comment s’était passée leur première
journée à l’école de Saint-Ambroise. Julianna ôta quelques pinces à linge, les
coinça entre ses lèvres et entreprit d’enlever un autre vêtement qu’elle déposa
dans son grand panier en osier. Enfin, au bout du chemin, elle aperçut les deux
enfants qui s’en revenaient. Au
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