La chapelle du Diable
contraire du matin, Yvette avait pris les
devants et transportait le sac du dîner et des livres d’école. Pierre suivait, à
pas lents, la tête baissée.
Julianna courut jusqu’à leur hauteur.
Pierre s’arrêta de marcher et, du bout des pieds, se mit à gratter la terre.
Yvette hésita.
— Que c’est qui se passe ? demanda la mère. Vous avez une face
d’enterrement.
La fillette répondit crûment.
— J’le savais que j’aimerais pas l’école !
— Bon… Pis pourquoi ?
— Notre maîtresse… C’est une face de rat !
— Yvette !
Il fallait vraiment qu’elle ait une discussion très sérieuse avec Marie-Ange !
Elle chicana l’insolente.
— Rentre à la maison tout de suite pis monte te mettre à genoux à côté de ton
lit !
La fillette ouvrit de grands yeux d’étonnement. Jamais sa mère ne l’avait punie
ainsi ! Yvette vint pour répliquer mais, au ton sévère de sa mère, sut qu’elle
était mieux de s’abstenir. Elle obéit et les laissa seuls. Doucement, Julianna
releva le menton de son fils et scruta son visage. Il était au bord des
larmes.
— Dis-moi ce qui s’est passé.
Pierre inspira profondément et marmonna.
— J’veux pus jamais y aller…
— À l’école ?
— J’veux retourner à Montréal ! murmura l’enfant.
Pour que son fils lui tienne ce discours, c’était grave. Lui qui ne passait pas
une journée sans lui vanter le plaisir qu’il avait d’habiter à
Saint-Ambroise.
— Y va falloir que tu m’dises pourquoi.
— Parce que... parce que tout le monde riait de moé, maman ! Y sont nu-pieds,
expliqua l’enfant.
— Pierre, c’est pas ben grave. Toi, t’as la chance d’avoir des souliers.
Tout à coup, les larmes retenues jaillirent en même temps qu’un flot de
paroles.
— Y m’ont traité d’affreux à cause de ma cicatrice pis je les ai entendus qui
disaient que c’était le diable qui avait des enfants aux cheveux rouges... que
je faisais peur aux filles pis... c’est pas comme mon école à Montréal, j’veux
pus jamais y aller, maman, jamais !
Julianna prit son enfant par les épaules.
— Voyons, Pierre, calme-toi un peu. Chus ben certaine que c’est pas si grave
que ça. C’est parce que les autres te connaissent pasencore
comme il faut. Quand ils vont se rendre compte comment t’es un petit garçon
gentil, ils vont être tes amis. Pis y te diront plus des choses méchantes, tu
vas voir.
— C’est ça que Delphis y dit, se consola l’enfant.
— Tu vois ! En tout cas, ta maîtresse, a les a chicanés, j’espère. C’est pas
gentil de se moquer de quelqu’un.
Pierre resta silencieux.
— Ta maîtresse d’école, p’tit Pierre, tu lui as-tu dit qu’ils étaient pas fins
les autres ?
— Non.
— Ben demain j’vas y aller avec toi pis j’vas lui dire.
— Non ! Maman... la maîtresse... a le sait.
— Comment ça ?
— C’est elle qui a ri de moé en premier, avoua Pierre.
— Quoi ?
— Quand on est arrivés, expliqua l’enfant en reniflant, mademoiselle Potvin, a
l’a posé des questions aux nouveaux, pour voir ce qu’on savait pis ce qu’on
savait pas. Pis moé, j’ai levé ma main à chaque fois. C’était bébé la-la, ses
questions ! Pis je savais toutes les réponses !
— Pis ? demanda Julianna.
— Pis a l’a dit que j’me prenais pour un p’tit Joe connaissant.
— A l’a dit ça ?
— Oui, pis a l’a dit que je m’donnais des grands airs avec mon beau linge pis
mes souliers vernis pis que j’parlais pointu à la française pis que j’me prenais
pour un prince…
— Ah ben, franchement !
— … le prince des carottes.
— Quoi ? A t’a traité de prince des carottes ?
Pierre fit signe que oui, soulagé d’avoir confié ses malheurs à sa mère. Il
reprenait espoir. Elle ne laisserait pas passer une telle injustice ! La Potvin
allait voir qu’on ne traitait pas un Rousseau de cette façon !
Sa mère était indiscutablement en colère.
— A doit être rien que jalouse parce que t’en sais plus qu’elle. Allez viens,
on rentre. Quand ton père va revenir de chez ton oncle, j’m’en vas y raconter
ça. Tu vas voir, ton père, y va faire quelque chose pis a va s’excuser.
Cependant, la réaction de François-Xavier fut loin d’être celle escomptée.
Quand Julianna avait relaté en détail la mésaventure de son fils et
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