La chapelle du Diable
Resté seul dans son lit, Pierre s’était senti si misérable, si
désemparé. Comment faire pour affronter le monde le lendemain ?
Ce qui le sauva fut la présence de sa sœur Yvette et de ses cousins Gagné qui
restèrent à ses côtés. Lorsqu’ils arrivèrent devant l’école, les autres élèves
les dévisagèrent et se mirent à ricaner. La maîtresse devait être à l’intérieur.
Yvette, Sophie cachée derrière son dos, lança un regard méprisant à la ronde.
Delphis leur fit un sourire gêné en voulant dire : « Ben voyons, les gars, c’est
mon cousin ! »
À partir de cette deuxième journée d’école, les clans furent formés. Les
cousins et les autres… Tenant Sophie par la main, Yvetteaffrontait les ennemis du regard, avec des paroles et parfois des coups de
pied. Pierre fuyait leurs quolibets, pliait sous les grimaces, recevait les
coups. Somme toute, on laissa les filles tranquilles. Ce fut une autre paire de
manches pour les deux cousins. Les autres enfants, en plus de faire damner
« Pierre le balafré, Pierre le prince des carottes, Pierre le p’tit Joe
connaissant », se mirent à traiter Delphis aux cheveux frisés de « mouton
peureux, mouton suiveux et mouton affreux… »
Cela dura plusieurs semaines puis les enfants se lassèrent. La plupart des
élèves avaient tout de même un bon fond et ne trouvèrent plus rien d’amusant à
blesser les cousins. Surtout que Mademoiselle Potvin était continuellement sur
le dos de Pierre et qu’elle se révélait de plus en plus méchante. L’ostracisme
envers le nouveau lors de la rentrée scolaire, encouragé et alimenté par leur
maîtresse, se transforma en un sentiment de pitié général pour ce gêné de
rouquin qui devait, presque tous les jours, recevoir des coups de règle sur les
doigts, se faire ridiculiser devant tout le monde ou encore se faire cracher des
bêtises par leur institutrice. Cela créait un tel climat de tension dans la
classe que bien des élèves commencèrent à s’en plaindre à leurs parents mais du
bout des lèvres. Pas un adulte ne prit cela au sérieux. Les élèves n’osèrent
aller plus loin au cas où cela ne vienne à l’oreille de l’enseignante. Tous la
craignaient tellement.
Sauf Yvette qui ne baissait jamais les yeux devant le regard acéré de la femme.
Elle répondait, avec toujours beaucoup d’aplomb, aux questions de mademoiselle
Potvin. Ce courage força l’admiration. On aurait pu croire que la maîtresse
aurait cherché à casser la personnalité récalcitrante d’Yvette et pourtant, elle
ne jeta son dévolu que sur Pierre. Si mademoiselle Potvin n’avait pas eu cette
attitude envers lui, ses compagnons de classe auraient passé par-dessus la
couleur de ses cheveux et ils auraient joué ensemble au ballon ou à la cachette.
Mais le regard méprisant que lançait mademoiselle Potvin quand elle sortait
sonner la cloche et qu’elle s’apercevait qu’un autreenfant
avait osé se tenir avec le prince des carottes les tenait à distance.
Cette situation devint invivable pour Delphis et celui-ci se mit à délaisser
son cousin pour aller jouer lui aussi. Pierre ne lui en tenait pas rigueur. Il
comprenait. Yvette continuait à le protéger. Tous les jours de la semaine, il se
rendait à l’école comme on se rend à l’abattoir. Il rentrait la tête dans les
épaules et laissait l’institutrice se défouler sur lui, endurant les sévices et
les réprimandes. Il avait ordonné à Yvette de ne rien dire à la maison. Leur
père étant parti aux chantiers, leur mère avait déjà assez de soucis.
Les Fêtes de Noël lui apportèrent un doux répit et c’est avec joie qu’il passa
ce long congé à la maison, à jouer dans la neige avec ses frères et sœurs. Mais
hélas, il eut beau prier et prier, le temps ne s’arrêta pas et il dut reprendre,
en cette nouvelle année 1935, le chemin tant détesté qui menait à l’école.
Mademoiselle Potvin retrouva avec délice son souffre-douleur et redoubla de
perfidie. Pierre avait beau se rappeler les paroles de son père le soir de sa
première journée d’école et essayer de relever la tête, il n’y parvenait pas.
Pourquoi avait-il les cheveux roux et une cicatrice ? C’était trop injuste ! Et
pourquoi mademoiselle Potvin l’haïssait-elle tant ? Même le grand Bérubé, le
cancre de la classe, avait droit à un
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