La chapelle du Diable
cheveux
complètementrouges, elle, et n’arborait pas de cicatrice non
plus. Julianna eut connaissance du regard jaloux que Pierre lança à sa sœur.
Tout en le coiffant, elle lui dit gentiment :
— Allons, Pierre, l’important c’est que tu fasses de ton mieux. Pis peut-être
que cette année, mademoiselle Potvin a va t’en donner une aussi, une image
sainte.
Pierre ne se faisait pas d’illusion. Sa maîtresse d’école ne le récompenserait
jamais autrement que par des punitions et des injures. Il avait appris à
recevoir, selon la méthode Bérubé, les immanquables coups de règle sur les
doigts et il y avait longtemps qu’il ne levait plus la main pour répondre aux
questions de la femme. Il la détestait. Il était son souffre-douleur. Le seul
point positif était que cela l’avait rapproché de sa sœur Yvette. Même s’ils
continuaient d’être le feu et l’eau ensemble et qu’ils se chamaillaient pour des
peccadilles, devant l’ennemi, ils étaient soudés. Yvette se faisait un devoir de
l’escorter jusqu’à son pupitre avant de prendre place au sien. Elle était
devenue son ange gardien. Une présence rassurante, une indéfectible alliée. Si,
le matin, il n’aimait pas entrer le premier dans la sombre grange aux coins
remplis d’ombres inquiétantes, Yvette passait en premier. Si Pierre avait peur
d’aller à la bécosse à la noirceur, Yvette l’accompagnait et prenait les
devants, la lanterne à la main. À l’école, le trio Rousseau et les deux cousins
Gagné formaient toute une équipe. C’était Yvette qui avait forcé le groupe à se
tenir ensemble aux récréations, défiant mademoiselle Potvin d’y voir un
empêchement. Pierre, au moins, n’était plus seul maintenant à regarder jouer les
autres enfants. Le temps des récréations rendait plus supportables ces affreuses
journées de calvaire. Il avait craint que l’institutrice s’en prenne à son petit
frère Mathieu quand celui-ci avait été en âge de commencer l’école. Il cherchait
souvent des raisons à la haine de la maîtresse envers lui et il s’était mis à
penser, étant donné qu’elle laissait Yvette tranquille, que c’était parce
qu’elle n’aimait pas les garçons. Mais mademoiselle Potvins’était contentée de détailler un instant le nouvel élève Rousseau avant de
lui attribuer une place près de la fenêtre. Mathieu avait passé l’année à
rêvasser en regardant au dehors. Et mademoiselle Potvin n’avait jamais trouvé
rien à y redire. Pierre n’avait pas de doute. Certainement que sa sœur ferait
honneur à la famille aujourd’hui. Elle répondrait à toutes les questions sans
sourciller. Les commissaires et le curé la féliciteraient chaudement. Et ce
soir, elle rapporterait précieusement à la maison un beau livre de géographie
obtenu en récompense. Pierre resta silencieux. Il ne savait trouver les mots
pour expliquer à sa mère de ne pas être déçue pour lui parce que la maîtresse ne
lui donnerait pas d’image comme à tous les autres… Il l’aurait, sa récompense,
et il n’y en avait pas de plus précieuse que ce beau congé d’été qui
débuterait !
En fin de compte, la vie pouvait se révéler agréable à Saint-Ambroise !
Julianna se prélassait, accotée sur le garde de sa galerie neuve, profitant de
la fraîcheur du soir d’été, quand le soleil brille encore mais qu’il a consenti
à descendre un peu jouer avec la brise. Les deux plus jeunes étaient couchés et
elle voyait les quatre autres courir et se pourchasser en riant, heureux et
insouciants. À ses côtés, François-Xavier fumait une pipe en se berçant. Son
mari était revenu plus serein de l’hiver passé chez les trappistes. Il avait
trouvé un terrain parfait pour se construire une fromagerie, à l’entrée du
village, et il commençait à croire enfin à la réalisation de son rêve. Il lui
avait longuement parlé, comme il y avait bien longtemps que cela n’avait pas eu
lieu. Julianna s’étant beaucoup ennuyée, elle l’avait reçu comme un roi, lui
accordant beaucoup d’attention et oubliant ses récriminations. François-Xavier
crut que le pire était derrière eux et que sa princesse lui pardonnait enfin
leur déménagement. Sur les conseils de Marie-Ange, Julianna allaitait encore Léo
afin d’éviter lafamille. Après six enfants l’un derrière
l’autre,
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