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La chapelle du Diable

La chapelle du Diable

Titel: La chapelle du Diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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carrés. Des chargeurs
     forts comme des bœufs qui les empilaient sur d’immenses traîneaux. Des
     charroyeurs qui les transportaient jusqu’à l’immense grange construite à cet
     effet. Des déchargeurs et des entreposeurs qui les cordaient en rangs bien
     serrés sur un lit de paille. Ce dur labeur s’effectuait pour un salaire
     quotidien de deux piastres par homme et de la moitié par cheval fourni. En ces
     trois mois d’hiver 1936, les hommes entasseraient 1542 morceaux bien à l’abri
     dans le bran de scie de l’entrepôt. François-Xavier avait entendu parler du
     fameux monastère mais n’y avait jamais mis les pieds. Il fut grandement
     impressionné lorsque, pour la première fois, il y pénétra. Le curé Duchaine
     l’avait averti du caractère singulier de cette congrégation qui se vouait à la
     règle de saint Benoît : « Ils seront vraiment moines s’ils vivent du travail de
     leurs mains... »
    La vie monastique en était une de labeur. Les trappistes s’engageaient à
     devenir des travailleurs acharnés. Sur des milliers d’acres de terre, ils
     procédaient à la culture, à l’élevage et à maintes activités dont
     François-Xavier ne soupçonnait même pas l’existence. Comme cet élevage de
     renards argentés et de visons. Ou encore l’exploitation, l’été, d’une carrière !
     Ils possédaient une fromagerie, un juvénat, une cordonnerie, des ruches, une
     scierie, une conserverie, des chevaux percherons, des poules pondeuses et bien
     d’autres choses que François-Xavier n’avait pu retenir, abasourdi par l’étendue
     et la diversification du domaine. Cela dépassait l’imagination. Sur ces terres
     cisterciennes, c’était un village entier qu’on retrouvait ! Un village sans
     femmes, il va sans dire et bien silencieux car les moines avaient fait vœu de
     silence perpétuel. Mais, comme le découvrit avec amusement François-Xavier, ces
     moines communiquaient par signes. Il semblait y avoir tout un code gestuel qui,
     pour le commun des mortels, ne voulait absolument rien dire et qui, pourtant,
     véhiculait bien des secrets pas toujours religieux entre les moines.
    Julianna mourait d’ennui quand François-Xavier s’absentait ainsi. Non pas parce
     qu’elle n’était pas occupée, au contraire, maisson mari lui
     manquait viscéralement. Les longues soirées d’hiver n’étaient pas pareilles sans
     son homme en train de fumer sa pipe au coin du feu. Avec Marie-Ange, elles en
     profitaient pour tisser, coudre ou tricoter. Ti-Georges avait acheté un autre
     métier à tisser à Rolande, un modèle comprenant huit cadres au lieu de six.
     Julianna avait donc hérité du premier. La maison avait été réorganisée. Une des
     quatre chambres à l’étage, celle située à l’ouest pour profiter au maximum de la
     lumière, avait été transformée en pièce à tisser. Une chambre pour Laura et
     Yvette, une chambre pour Mathieu, Pierre et Jean-Baptiste. Léo dormait encore
     dans son berceau en bas et la dernière, pour Marie-Ange. En plus du métier, de
     l’ourdissoir et de tout l’imposant attirail que nécessitait le tissage, un rouet
     et un grand coffre de bois avaient été installés. Y étaient entreposés les
     trésors que les femmes confectionnaient.
    Les deux sœurs aimaient bavarder à voix basse pour ne pas réveiller les
     enfants, au son de la navette qui glissait à chaque rang. La seule étape que
     Julianna détestait dans le tissage, c’était quand venait le temps d’ourdir. Elle
     trouvait fastidieux ce montage de fils. Elle n’avait jamais été très habile avec
     les chiffres et Marie-Ange se penchait pendant des heures sur un calcul complexe
     de nombre de rangs de couleurs et de longueurs savamment planifiés afin de créer
     un joli motif. Ensemble, elles parlaient de tout et de rien. Elles partageaient
     des recettes, des trucs, des petits secrets. Julianna fut surprise de s’être
     adaptée ainsi à la vie rurale. Le confort de la maison de Montréal lui manquait
     mais, somme toute, elle ne pouvait plus dire qu’elle était malheureuse comme à
     son arrivée. C’était un rythme de vie enveloppant et rassurant qui lui rappelait
     l’hiver passé avec Marguerite.
    Au mois de janvier, cependant, Marie-Ange alla s’installer chez Ti-Georges pour
     plusieurs semaines afin d’aider Rolande qui venait d’accoucher d’une fille qu’on
     baptisa Antoinette. Julianna se retrouva bien seule dans la

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