La chapelle du Diable
venir au lit avec moi tout de suite ?
— J’te dirais que tu seras pas sur la veille de t’endormir cette nuit pis ça,
c’est la vérité.
Comme convenu, Henry arriva de Montréal afin de passer quelques semaines avec
eux. Il se relevait d’une pneumonie et le médecin lui avait suggéré de respirer
l’air de la campagne. Julianna fut heureuse de le recevoir. Une fois de plus, la
maison fut réaménagée. La chambre à tisser fut vidée pour placer le tout dans la
cuisine d’été. Ils installèrent un lit à Henry et une commode. Julianna et
Marie-Ange lui promirent qu’elles allaient le remettre sur pied. Voulant quand
même garder un peu d’indépendance, l’avocat avait loué une automobile. À son
arrivée, les enfants lui firent la fête, sauf Mathieu qui resta un peu en
retrait. Henry embrassa tout le monde, s’émerveillant sur le fait qu’ils avaient
tous tant grandi en un an et s’approcha de son filleul.
— Ah ben ! un parrain qui a droit à du boudin ? Pour moi, j’ai un filleul qui
pense que j’ai oublié sa fête de sept ans... non ? Bien attends, c’est certain
que je t’ai pas oublié... attends.
Henry retourna à la voiture, en sortit une bonbonnière de métal et la tendit à
Mathieu. L’enfant refusa.
— Prends-la Mathieu, c’est pour toi !
Henry jeta un coup d’œil inquiet à Julianna. Celle-ci lui fit signe qu’elle ne
comprenait pas plus que lui la réaction de son fils.
— T’aimes pus les cadeaux, mon Mathieu ?
L’enfant répondit d’une drôle de voix :
— Pas quand y font bobo.
Amusé, Henry ouvrit lui-même la boîte et montra les bonbons à
son filleul.
— Ça devrait pas te faire mal, à moins que tu en manges trop !
Julianna pressa son fils de remercier son parrain. Puis elle intima aux enfants
de laisser « mononcle Henry » arriver tranquille.
— Attends, Julianna, j’ai... j’ai un autre cadeau, ajouta-t-il, un peu gêné en
retournant à la voiture.
— J’espère que tu m’en voudras pas, Julianna, mais au garage où j’ai loué la
voiture, ils étaient trois dans un carton. J’ai pas pu résister.
Et il revint cette fois-ci avec, dans les bras, un joli chiot. Les enfants
eurent tous un « oh ! » d’émerveillement et d’attendrissement. Henry
s’agenouilla devant Mathieu et lui dit :
— Ce cadeau-là, y te plaît plus ?
Mathieu fit signe que oui. Il regarda la petite frimousse poilue. Une oreille
droite, l’autre pendante, le chiot était tout noir avec une tache blanche au
poitrail et au bout de chaque patte. Mathieu tendit la main et le chiot la
lécha.
— Il t’aime déjà. Tu vas l’appeler comment ? lui demanda Henry en déposant le
chien dans les bras de son filleul.
Mathieu leva les épaules pour signifier qu’il n’en avait aucune idée. Puis le
chiot délaissa les mains pour se consacrer au léchage du visage de son nouveau
maître. Mathieu s’essuya la joue pleine de bave de l’animal. Il regarda Henry et
proposa :
— Baveux ?
— Baveux ? répéta Henry. Va pour Baveux.
Julianna rassura Henry.
— C’est un merveilleux cadeau, Henry. Ça faisait longtemps que j’avais pas vu
Mathieu heureux de même. Mais, continua-t-elle à l’adresse de son fils, je veux
pas de p’tit Baveux dans la maison.
Il y eut un court instant de silence puis le double sens de sa phrase fut
évident. L’hilarité gagna tout le monde. Seul Henry ne saisit pas ce qu’il y
avait de drôle. Julianna lui expliqua.
— Par ici, quelqu’un de baveux, c’est une personne qui agace
les autres de façon pas très gentille… Pis les enfants savent très bien que je
tolère pas cette impolitesse. À Montréal, on dirait que ce genre de monde c’est
un…
Elle chercha le terme exact. Henry proposa :
— Un fendant ?
— Oui c’est ça, un grand fendant ! Bon, en tout cas, je veux pas de chien dans
la maison, ajouta Julianna d’un air sévère. Il va coucher dans le coin du
hangar.
Tous les enfants partirent installer royalement le nouveau membre de la
famille. Yvette sacrifia une couverture de poupée, Pierre, l’esprit pratique,
alla remplir une écuelle d’eau fraîche, Laura lui apporta une poignée de
framboises sauvages qui poussaient le long du mur au soleil. On rit d’elle, lui
disant que les chiens, « ça mangeait que les cous de poulet pis les restants de
table ». Laura se consola
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