La chapelle du Diable
maison. Couchée dans
son lit, elle écoutaitle froid faire éclater les clous de la
maison. Elle prit ses mains et se tâta le corps. Elle toucha ses seins, ils
étaient beaucoup plus lourds et tombants qu’avant. Elle les fit descendre
jusqu’à son ventre. Elle l’appelait son petit coussin. Il était un peu rond et
n’était jamais redevenu plat. Elle se mit à rêver aux caresses de
François-Xavier et ses mains s’égarèrent sur son sexe. Mais elle avait donné la
permission à ses deux filles de dormir avec elle. Elle remit sagement ses mains
le long de son corps et elle observa Yvette et Laura, dormant à sa gauche. Elle
jeta un œil sur le berceau. Léo était lui aussi profondément endormi. Elle se
releva et alla épier le sommeil de ses autres garçons. Elle borda Jean-Baptiste
qui trouvait toujours le moyen de se découvrir les pieds. À côté de lui, Pierre
était étendu, les bras repliés derrière sa tête. Elle se dit que son fils allait
avoir dix ans au printemps. Dix ans, comme le temps passait vite... Puis elle se
pencha sur Mathieu, couché seul, dans un autre lit. Julianna eut envie de le
lever pour le faire uriner. Puis elle changea d’avis. Cela n’avait jamais fait
de différence. Julianna s’agenouilla près du lit et pria une nouvelle fois pour
que son fils guérisse et qu’il cesse de mouiller son lit. Elle ajouta à ses
prières l’espérance que le printemps soit hâtif cette année afin de mettre un
terme à sa solitude.
Ses prières furent entendues. Marie-Ange et François-Xavier revinrent au début
du mois de mars. Les accidents nocturnes de Mathieu commencèrent à s’espacer et
à la venue de la fin de l’école, au mois de juin, elle commença à espérer que ce
problème était disparu définitivement. Marie-Ange avait raison. Il fallait juste
laisser passer le temps et ne pas s’en faire. Le temps… À l’automne, l’année
scolaire débute et l’on a l’impression d’avoir une longue année devant soi à
pouvoir respirer un peu pendant que les plus vieux sont à l’école, et la
première chose que l’on sait, ils sont là, devant soi, endimanchés,excités, prêts à aller assister à la remise des prix de fin
d’année… Enfin, Yvette et Mathieu espéraient une récompense. Son petit Pierre,
par contre, c’était une autre histoire !
Julianna termina de coiffer Yvette. Méticuleusement, elle noua un beau ruban
blanc dans les cheveux blond-roux de sa fille. Aujourd’hui, les commissaires
venaient questionner les enfants et Yvette affirmait qu’elle remporterait le
prix de l’élève s’étant le plus distinguée de l’année 1936. Tous s’étaient levés
encore plus tôt ce matin-là pour être certains que les enfants soient
impeccables pour cette journée si spéciale ! Mathieu, qui terminait sa première
année, ne semblait pas trop comprendre ce à quoi s’attendre. Yvette lui
expliquait, pour la quatrième fois au moins, qu’en ce dernier jour d’école, le
curé Duchaine ainsi que les commissaires d’école seraient assis à la place de la
maîtresse Potvin et qu’ils poseraient de nombreuses questions pour voir s’ils
avaient bien appris leur leçon. Yvette savait tout par cœur, des tables de
multiplication aux dates de la découverte de l’Amérique ou de la bataille des
plaines d’Abraham. Elle épelait facilement des mots compliqués comme d-a-m-n-a-t-i-o-n et pouvait réciter Le Corbeau et le renard .
Il était rare de voir une élève de deuxième année se démarquer autant. Dans la
petite école de rang, parmi la vingtaine d’élèves âgés entre six et seize ans,
elle était incontestablement la meilleure. Et cette supériorité lui donnait une
assurance presque insupportable !
Julianna prit le peigne et s’attaqua à la tignasse rousse de Pierre. Elle
soupira. Son aîné n’avait pas de très bons résultats scolaires. Pierre eut un
mouvement d’impatience. Il détestait que sa mère le peigne ainsi comme un bébé.
Demain, enfin, il serait délivré, l’école serait finie, plus qu’une dernière
journée à souffrir le martyre. Il regarda « Yvette la parfaite » qui, fière de
sa robe et de sa coiffure, pirouettait devant Marie-Ange en se vantant de
revenir à la maison avec la plus belle récompense. Il aurait aimé lui
ressembler, avoir autant de cran qu’elle. Mais elle n’avait pas les
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