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La chapelle du Diable

La chapelle du Diable

Titel: La chapelle du Diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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en mangeant à elle toute seule sa récolte, sans
     partager. Jean-Baptiste crut avoir une meilleure idée et arracha quelques brins
     de paille et les tendit au chien. Là encore on se récria en riant : « C’est pas
     un cheval ! » Quant à bébé Léo, c’est vers le chien qu’il ferait ses premiers
     pas quelques semaines plus tard.
    Julianna averti Henry qu’elle avait préparé un souper en son honneur. Elle
     s’excusa de l’absence de Marie-Ange et de François-Xavier partis au
     village.
    — Je t’attendais pas avant la fin de l’après-midi, lui fit-elle remarquer sans
     reproche.
    — Oui, dit Henry. J’avais pensé m’arrêter dire bonjour à mon collègue de
     Chicoutimi, mais avec le petit chien, j’ai changé mes projets.
    — Astheure, tu vas aller faire une sieste. T’es maigre pis encore blême.
    Henry embrassa doucement Julianna sur la joue.
    — C’est pas désagréable quelqu’un qui prend soin de moi… murmura Henry.
    Julianna rougit un peu.
    — Je sais, je joue à la mère… Allez, viens, on t’a préparé une belle
     chambre.
    Henry monta derrière Julianna. Il était certain qu’il n’y avait rien de
     maternel dans l’attitude de la jeune femme, rien.

    Le dimanche suivant son arrivée, Henry eut une folle idée. Il voulut que toute
     la famille et celle de Ti-Georges l’accompagnent au lac Saint-Jean se baigner.
     Il avait fait si chaud toute la semaine, même les enfants ne s’enduraient plus
     tellement c’était étouffant dans les maisons, rendant l’air de la nuit
     irrespirable. François-Xavier refusa. Il n’aimait pas penser à son lac et encore
     moins y aller. Il n’avait pas remis les pieds sur la Pointe depuis plusieurs
     années. Julianna se fit insistante, tempêta, quémanda, harcela. Il abdiqua.
     Ti-Georges se fit prier aussi mais pour une tout autre raison. Il avait prévu
     profiter de ce jour du Seigneur pour se débarrasser une fois pour toutes des
     « bebittes à patate » qui avaient envahi le jardin de Rolande. Depuis des jours
     sa jeune femme lui demandait de prendre le temps de régler ce problème qui
     risquait d’endommager sa récolte. Ces tubercules étaient si précieux pour
     nourrir la famille tout l’hiver. Les maudits insectes se multipliaient à vue
     d’œil et s’accrochaient aux tiges des plants. Julianna et Rolande se mirent à
     deux pour convaincre le cultivateur d’aller au lac et de remettre
     l’extermination à un autre jour. Rolande avoua qu’elle ne s’était jamais baignée
     de toute sa vie. Elle avait entendu parler de ces grandes plages de sable. Elle
     voyait cette aventure comme le voyage du siècle. Ti-Georges lui sourit
     tendrement. Julianna trouva l’argument décisif. Elle promit que dès le lendemain
     de leur sortie, elle résoudrait le problème de son frère. Mais elle ne voulut
     rien dévoiler de la façon dont elle s’y prendrait. Ainsi, un camion plein de
     Gagné riant, se chamaillant et une voiture louéeconduite par
     Henry, débordant de Rousseau chantant à pleine voix et d’un petit chien qui fit
     honneur à son nom en détrempant la banquette, quittèrent, cahin-cahan,
     Saint-Ambroise pour se rendre à Saint-Gédéon, là où une plage sur le bord du lac
     Saint-Jean leur offrait des courses folles dans le sable, des éclaboussures
     d’eau fraîche et du soleil plein le visage. Bien entendu, on mit à l’abri bébé
     Antoinette Gagné, âgée de six mois, sous un parasol improvisé fait de vieux
     draps de coton attachés à des branches coupées en guise de pieux. Les femmes
     avaient préparé un pique-nique digne d’un festin. Baveux courut de gauche à
     droite et aboya joyeusement. Mathieu et Laura lui lançaient un bâton dans l’eau,
     mais le chiot reculait chaque fois devant la vaguelette qui lui chatouillait les
     pattes. Yvette et Sophie jouèrent à s’arroser l’une l’autre en s’accompagnant de
     petits cris perçants. Ti-Georges se plaignit : « Maudit que c’est criard des
     filles ! » Jean-Baptiste barbota un peu puis préféra creuser, à l’aide d’une
     cuillère prêtée par sa mère, un énorme trou qui se remplissait d’eau au fur et à
     mesure que le pauvre enfant essayait de le vider.
    Les jumeaux enterrèrent Henry sous une montagne de sable que celui-ci fit
     trembler en rugissant pour se libérer. Elzéar oublia un instant l’ambivalence de
     ses quinze ans et joua comme un gamin à se faire une guerre de mottes

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