La chapelle du Diable
de sable
mouillé avec son jeune frère Samuel. Il en retrouva l’attitude désabusée quand,
un peu plus tard, il accepta la cigarette que Henry lui offrit. L’adolescent
feignit d’avoir fumé toute sa vie et expliqua sa soudaine toux par le fait
d’avoir avalé une de « ces satanées mouches noires ». Augustin fut sage mais
refusa de se laisser emmener dans l’eau par Ti-Georges. Le père adoptif le remit
dans les bras de sa mère avec l’air de dire que cela était évident que cet
enfant n’était pas le sien. Léo, lui, ne fut pas de tout repos, marchant à
quatre pattes dans le sable, s’en fourrant dans les yeux, la bouche, pleurant,
obligeant Julianna à se lever et à le tremper dans l’eau avant de le ramener à
l’ombre pour la dixième fois au moins ! Delphis et Pierre ramassèrent les plus
beauxcailloux et en ornèrent le magnifique château qu’ils
avaient passé des heures à construire. Rolande avait l’impression de flotter sur
un nuage et jura qu’elle n’avait jamais rien vu de plus beau que ce soleil qui
se couchait dans l’eau, embrasant le lac, les nimbant d’une lumière orangée. On
attendit le retour de François-Xavier. Celui-ci était disparu dès leur arrivée,
leur disant qu’il s’en allait se promener sur la grève. Il avait marché, ainsi,
seul, le long de la plage, pendant des heures, les mains dans les poches en
ruminant l’amertume et l’ennui qu’il avait de la Pointe. Quand il revint,
taciturne, il accepta avec joie, sous l’œil désapprobateur de sa femme, une
lampée d’alcool que Ti-Georges avait pris soin d’apporter. Et l’on vit le
cortège faire le chemin en sens inverse, tous les occupants dormant l’un sur
l’autre sauf Henry et Ti-Georges, qui conduisaient prudemment, et
François-Xavier qui avait la nostalgie au cœur.
Malgré la fatigue de tout le monde, le lendemain, Julianna mit à exécution son
idée pour régler le problème des « bebittes à patate ». Pendant toute la journée
passée au lac, tout un chacun avait bien essayé de deviner quel pouvait bien
être le mystérieux plan de Julianna. Mystérieuse, celle-ci s’était contentée de
rétorquer : « Ah ! Vous verrez ben demain. »
Tôt dans l’avant-midi, après les corvées, Julianna ordonna à toute la maisonnée
de prendre chacun une chaudière ou un pot de confitures vide et de la suivre
jusqu’à la ferme de Ti-Georges. On s’y rendit à pied en passant par le raccourci
de Pierre. Henry avait beaucoup de plaisir et goûtait pleinement à cette vie
simple, loin des tracas de son cabinet ou de son implication politique. C’était
cette vie de fou qui l’avait rendu malade cet hiver. Il ne regrettait rien. Ce
surmenage avait valu le coup. Ils avaient enfin eu la tête de Taschereau. Le
ministre avait démissionné le mois dernier. Le11 juin 1936 resterait une date mémorable pour Henry et ses amis. Ils avaient
travaillé si fort… Henry aurait préféré que le dirigeant aille croupir en
prison, mais il ne fallait pas trop en demander à une société régie par le
clergé et par l’argent. Malgré tous les efforts fournis par les libéraux afin de
protéger leur parti, l’enquête sur les comptes publics avait miné leur base.
Henry y avait presque laissé sa santé, passant des nuits, avec ceux pensant
comme lui, à travailler d’arrache-pied contre les libéraux. Ce séjour à
Saint-Ambroise lui faisait le plus grand bien. Il avait poussé à bout ses
limites physiques. Des réunions qui duraient jusqu’aux petites heures du matin,
des rencontres secrètes avec des journalistes, des rédactions de rapports…
Vraiment, il était temps qu’il se repose. Henry croyait profondément en
l’indépendance du Québec. Et il n’était pas seul ! Hélas, leurs voix semblaient
toujours se perdre et ne pas trouver d’écho. Pourtant, leurs discours étaient
honnêtes, clairvoyants, respectueux, pleins de bon sens, tandis que les libéraux
trempaient dans la corruption, le chantage, les pots-de-vin et les
mensonges.
Au moins, il n’y avait plus d’inquiétude à avoir. Joseph-Adélard Godbout avait
remplacé son chef démissionnaire afin d’assurer l’intérim. Henry était certain
qu’aux élections générales du mois d’août prochain, Duplessis et son Union
nationale allaient accéder au pouvoir. Cela ne redonnait pas à François-Xavier
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