La chapelle du Diable
autre verre de bagosse, l’alcool
de fabrication artisanale que Ti-Georges s’était procuré, prohibition obligeait…
Fatiguée, Julianna faillit s’endormir aurythme de la chaise
berçante. À 31 ans, elle commençait à être trop vieille pour avoir des enfants.
Elle était bien déterminée à tout faire pour que celui-là soit le dernier. Elle
avait assez contribué à la revanche des berceaux. Même le départ de
François-Xavier, qui s’en retournerait chez les trappistes après le jour de
l’An, la désola moins. Le soir, elle n’avait jamais envie qu’il la touche et
elle s’endormait dès que sa tête touchait l’oreiller. François-Xavier regarda sa
femme à moitié assoupie. Il souhaitait, lui aussi, que ce bébé soit le dernier.
Une famille nombreuse à nourrir en ces années de crise n’était pas une sinécure.
Il était si proche de son but. Au printemps, Léonie et monsieur Morin se
marieraient. Si tout allait comme prévu, cela serait son dernier hiver à
délaisser sa famille. Il ressentit encore le même malaise à la pensée de
monsieur Morin et sa dernière et désagréable visite. Allons, il s’inquiétait
pour rien. Monsieur Morin devait avoir des qualités pour que Léonie désire
l’épouser. En cette veille de Noël, à Montréal, les fiancés devaient
réveillonner en amoureux.
Ce n’était pas le cas. Léonie avait invité Albert et mademoiselle Brassard à un
petit souper de Noël. Le repas s’était déroulé presque entièrement en silence.
Puis Albert s’était excusé, avait mis son manteau, son chapeau, les avait
saluées et avait quitté la maison sur une vague explication. Mademoiselle
Brassard s’offrit à aider à laver la vaisselle. Les deux femmes parlèrent à
bâtons rompus. L’employée du magasin semblait pensive. Elle s’informa sur son
avenir à La belle du lac, lorsque monsieur Morin en serait le propriétaire.
Léonie lui assura que jamais elle ne pourrait se passer de ses services ! La
femme la remercia du bout des lèvres, lui expliquant qu’il était si difficile de
trouver un emploi de nos jours, qu’elle appréciait énormément leur confiance…
qu’elle… qu’elle leur souhaitait bien du bonheur… Léonie eut soudain une
révélation. Elle faillit laisser s’échapper unecoupe de
cristal. Mademoiselle Brassard était amoureuse d’Albert ! Cela expliquait tout !
Le départ précipité de mademoiselle Brassard à la soirée du bal, le congé
qu’elle avait pris dans sa famille sans les prévenir, son attitude froide envers
elle, la tension du souper, Albert qui s’était sauvé en plein soir de Noël…
Comme elle avait été stupide ! Il s’était passé quelque chose entre les deux,
cela était évident. Que devait-elle faire ? Avoir une conversation franche avec
sa vendeuse ? Parler avec Albert et l’implorer de jeter son dévolu sur cette
femme plutôt que sur elle ? Elle se tourna vers son invitée. Elle hésita.
Mademoiselle Brassard dut lire sur son visage que sa patronne devinait la
vérité. La pauvre femme balbutia :
— Chus désolée, madame Léonie… Je… je dois y aller aussi… Chus un peu
souffrante.
Sans que Léonie ne dise un mot, mademoiselle Brassard s’empressa de prendre son
manteau et de quitter la maison avec un dernier « Merci et Joyeux Noël. »
Léonie alla se mettre à genoux devant le crucifix de sa chambre et remercia le
Seigneur de lui avoir envoyé enfin un signe pour l’éclairer. Dieu lui avait
révélé les sentiments de mademoiselle Brassard envers Albert. Cela voulait dire
quelque chose, mais quoi ?
Elle implora le Seigneur de lui envoyer un autre indice. Les jours qui
suivirent, Albert ne donna pas signe de vie. Léonie s’isola dans la prière à
essayer de comprendre ce que Dieu attendait d’elle. Elle parcourut les rues de
Montréal et entra dans plusieurs églises. Une fois, elle se joignit même aux
carmélites et assista à une messe dans leur couvent. Ayant eu vent que le frère
André était souffrant, elle redoubla de ferveur et ajouta à ses prières celle du
rétablissement du portier. Mais hélas, le saint homme décéda à la fin de la
semaine à l’âge de quatre-vingt-onze ans. Albert trouva Léonie en pleurs et
complètement dévastée. Il crut un instant que son absence en était la cause.
Quand il apprit la raison de cette grande tristesse, il se
Weitere Kostenlose Bücher