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La chapelle du Diable

La chapelle du Diable

Titel: La chapelle du Diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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elle pouvait émettre des opinions, il ne la faisait pas sentir
     comme une imbécile. Encore la veille au soir, ils étaient revenus sur le sujet
     de l’émancipation de la femme, le sujet préféré de Marie-Ange. Henry leur avait
     appris que depuis quelques années, les femmes avaient le droit de toucher leur
     propre salaire. On ne savaitpas qu’avant, la paye d’une femme
     mariée était remise directement au mari qui la dépensait comme il le voulait. Il
     n’était pas rare qu’une pauvre ouvrière d’usine, travaillant dans des conditions
     inhumaines, ne voie jamais la couleur de son argent ! Julianna essaya de se
     souvenir… Comment en était-on venu à parler de la condition des femmes ? Ah oui,
     on avait discuté du futur mariage de Léonie et de ce que son union avec monsieur
     Morin impliquerait pour La belle du lac… Le cœur lui serra à la pensée de
     Léonie. Il y avait plus d’un an qu’elle ne l’avait vue. Leur correspondance
     était restée régulière, mais le contenu des lettres était devenu plus réservé,
     plus froid.
    Julianna sortit de ses pensées au cri de Laura qui venait de renverser son
     bocal. François-Xavier se releva, prit son mouchoir et, retirant sa casquette,
     s’épongea le front en regardant, désolé, sa coéquipière pleurer sur sa
     déconvenue. Jamais il n’aurait cru participer à un jeu si enfantin. Il n’y avait
     que sa Julianna pour avoir des idées pareilles ! Sa femme était unique. Après
     onze ans de mariage, elle était encore un mystère pour lui. Il jeta un œil sur
     Henry. Aimait-il Julianna ? Elle aurait dû épouser ce premier prétendant. Il lui
     aurait offert la vie dont elle rêvait à Montréal. Il l’aurait laissée être
     professeur de musique. Quand François-Xavier l’avait épousée, il était fier de
     sa belle grande maison sur la Pointe, toute neuve, construite pour une
     princesse. Sa fromagerie était moderne, à l’avant-garde... Avec rage, comme
     chaque fois qu’il ressassait cet échec, il remit sa casquette. D’un léger signe
     de tête, Henry lui fit comprendre que lui aussi avait chaud. François-Xavier
     rassura sa fille Laura. Il lui dit que ce n’était pas grave, qu’ils
     rattraperaient leur retard, malgré l’accident, et il ajouta, en défiant Henry,
     que leur équipe serait gagnante. L’avocat releva le défi en invitant Mathieu à
     redoubler d’effort. Les deux hommes se mirent à travailler à une vitesse folle
     et s’acharnèrent à récolter les minuscules insectes avec une ardeur que seule
     l’envie de gagner un peu de sucre à la crème ne pouvait justifier.

Au mois d’août, le départ de Henry coïncida avec l’arrivée des
     premiers malaises ressentis par Julianna. Elle était enceinte de son septième
     enfant, malgré l’allaitement prolongé de Léo qui, à treize mois, prenait encore
     une tétée soir et matin. Cette nouvelle grossesse n’augurait rien de bon.
     Julianna n’avait aucune énergie. Elle ressentait des crampes dans le ventre
     comme avant ses menstruations. En plus, elle avait des pertes presque noires qui
     tachaient ses sous-vêtements. Elle fut soulagée que ses trois plus vieux
     reprennent l’école. Laura était pleurnicharde mais ne déplaçait pas d’air.
     Jean-Baptiste, on n’avait qu’à le tenir occupé à manger et il était heureux.
     Depuis que Léo marchait, ses coliques avaient un peu diminué et son dernier
     pleurait moins.
    Noël fut tranquille. Julianna ne se sentait pas la force de tenir de grandes
     réjouissances. François-Xavier avait accepté l’invitation de Ti-Georges à venir
     réveillonner chez lui. Rolande les avait reçus royalement. Les cousins s’étaient
     bien amusés ensemble. Julianna s’était contentée de bercer Antoinette qui allait
     avoir bientôt un an. Elle s’extasiait à quel point cette petite-là était
     magnifique et calme comme un ange !
    — Tout le contraire de mon Augustin, avait répliqué Rolande en voyant le fils
     né de son premier mariage faire des colères monstres pour un oui ou un
     non.
    Antoinette, bien installée sur les genoux de Julianna, jouait avec une poupée
     que celle-ci lui avait tricotée à titre de marraine. Julianna refit des
     compliments sur la beauté de sa filleule.
    — Elle est frisée comme son père mais à elle ça lui va bien, plaisanta-t-elle.
     Elle a vraiment beaucoup de Gagné dans le nez.
    Assis à la table, François-Xavier accepta un

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