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La chapelle du Diable

La chapelle du Diable

Titel: La chapelle du Diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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expulser un petit cadavre gris, figé, qui
     avait donné à Julianna l’impression d’être en cire comme les statues d’église.
     Par acquit de conscience, le médecin chercha un battement de cœur. Pendant un
     moment, elle n’avait pas voulu croire le lugubre constat du docteur. Il s’était
     trompé, son machin ne fonctionnait pas, il était sourd ou son bébé ne faisait
     que dormir ! Mais le silence, le maudit silence lui avait enlevé tout espoir. Le
     silence de son ventre, le silence de son bébé une fois sorti, celui du médecin
     qui entourait son petit garçon mort-né dans une couverture, l’enlevait de sa
     vue, le remettait à Ti-Georges, appelé pour venir se débarrasser de la
     dépouille. Le silence dans lequel on l’avait entourée et laissée se
     reposer.
    Elle dut pleurer en silence, se remettre de son accouchement en silence. Son
     fils fut enterré en silence, sans prêtre, sans cérémonie, sans parole d’adieu.
     Il serait à jamais dans les limbes et si Julianna n’avait jamais vraiment
     compris à quoi ressemblait ce fameux endroit entre le paradis et l’enfer, elle
     le sut. C’était le royaume du silence. Plusieurs heures après l’accouchement,
     Julianna prit son nécessaire à correspondance et commença une missive à
     l’intention de son mari. Elle avait à peine commencé qu’elle changea d’idée.
     Comment annoncer cette terrible nouvelle à François-Xavier ? Quels mots
     employer ? De toute façon, il risquait d’arriver en même temps que la lettre.
     Elle décida d’attendre son retour et de lui annoncer en personne la perte de
     leur enfant. Elle déchira la feuille, en prit une nouvelle et la destina à sa
     marraine. Elle avait envie de hurler que ses prières n’avaient rien donné, que
     ce n’était qu’un tas de mensonges, que ce n’était pas juste, qu’on refusait le
     baptême à son bébé parce qu’il était mort-né. Son bébé méritait un nom ! Il
     avait existé, il avait été aimé ! Alors, en une simple phrase, elle relata, tel
     un fait divers, la perte de son bébé et passa à d’autres sujets. Là aussi, le
     silence dicta ses mots. Elle parla de Léo qui avait toujoursdes
     difficultés avec la nourriture, écrivit que Jean-Baptiste, au contraire, était
     bien rondelet, que Laura commencerait l’école à l’automne et qu’elle se
     demandait comment sa chétive fillette se débrouillerait. Elle raconta à quel
     point Mathieu et son chien Baveux étaient inséparables et se réjouit que son
     fils semblait plus souriant et détendu mais qu’il resterait certainement
     toujours un solitaire. Et Yvette, que dire de sa Yvette qui ne cessait de
     l’étonner par ses remarques de grande personne. Elle raconta qu’on venait de
     fêter son neuvième anniversaire et que l’enfant était de plus en plus
     déterminée. Elle indiqua que Pierre allait avoir onze ans et que mademoiselle
     Potvin lui faisait toujours la vie dure à l’école. Elle rédigeait mécaniquement,
     comme on parle de la pluie et du beau temps. Elle donna des nouvelles de
     Ti-Georges et de Rolande, lui apprit que celle-ci attendait encore un nouveau
     bébé pour le mois de novembre et qu’elle vomissait autant qu’aux deux autres
     grossesses. Elle n’oublia pas Augustin et Antoinette, précisant qu’ils se
     portaient bien, et ajouta un mot sur les jumeaux, aussi malcommodes qu’avant,
     sur Samuel qui restait le même et sur Sophie et Elzéar. Elle se désola de ne pas
     entendre parler de Jean-Marie. Marie-Ange l’embrassait, le curé lui disait ses
     bonnes pensées, les Dallaire aussi. À la fin, elle ne sut plus quoi raconter,
     elle se prépara donc à conclure. Quand vint le moment de signer sa missive, un
     serrement la prit à la poitrine, et au lieu de l’habituel mot de courtoisie,
     elle écrivit en grosses lettres par-dessus tout son insipide texte : « VENEZ, JE
     VOUS EN PRIE ! » Julianna éclata en sanglots et signa de ses larmes l’appel au
     secours qui s’étalait de travers sur toute la largeur de la feuille.

    Léonie s’affaissa sur le bord de son lit. Elle venait de recevoir la missive de
     Julianna. La teneur de sa lettre et la demande urgente que Léonie se rende
     auprès d’elle avaient donné un terrible choc à lamère adoptive.
     Julianna avait perdu son bébé. Comment se faisait-il que le frère André lui
     avait refusé cette prière ? Elle avait dû faire quelque chose de mal. On

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