La chapelle du Diable
ses deux fillettes, ainsi que des chemises et des pantalons pour ses
garçons. Pour elle, Marie-Ange et Rolande, elle avait fait trois jolies robes de
soirée. Elle avait pris dans le catalogue de Dupuis Frères le modèle qui lui
plaisait et l’avait modifié à sa guise, inventant un autre col, une paire de
manches différente, un ornement original. Julianna avait travaillé fort et cousu
tard le soir afin de les terminer pour le réveillon. Il ne restait plus que
quelques détails à achever.
Deux jours avant Noël, Rolande vint faire le dernier essayage. Dans la chambre
à coucher, la jeune femme, émue et vraiment ravissante, s’admirait dans le
miroir de la commode. Julianna avait choisi soigneusement le tissu bleu royal au
magasin général en sachant qu’il ferait ressortir les beaux cheveux noirs de la
jeune fille. Le modèle était audacieux et à la mode. Rolande n’en revenait pas
de se voir ainsi drapée dans un si beau vêtement. Marie-Ange, qui assistait à
l’essayage, complimenta Julianna pour son magnifique travail.
— C’est encore plus beau que dans le catalogue.
— J’ai mélangé deux-trois robes pis j’ai ajouté des petites choses à mon idée.
Pis c’est Rolande qui rend la robe belle. Comment tu fais pour rester si
petite ? demanda-t-elle en feignant d’être jalouse devant la taille de guêpe de
sa belle-sœur.
Ce n’était pas croyable, à croire que la maternité la faisait maigrir, elle.
Marie-Ange, qui était bien enrobée, dit :
— Elle se démène du matin au soir, avec sa marmaille de huit. Pis là je parle
pas d’Elzéar pis de Jean-Marie. Y sont rendus des hommes. T’as ben du courage,
ben, ben du courage.
Rolande leva les épaules. Elle n’avait pas le choix, aussi bien faire
avec.
— Merci beaucoup Julianna. J’ai jamais été aussi belle... Même
pas à mes mariages.
— Pauvre puce, fit Marie-Ange. Tu l’as pas eu facile, toé !
— Mais astheure, chus ben heureuse avec votre frère ! s’écria Rolande, un peu
nerveusement. Allez pas penser que je lui suis pas redevante ! Y… y est ben gros
gentil avec moé pis y... y... est un bon mari...
Julianna l’interrompit, surprise de ce soudain plaidoyer.
— Voyons Rolande, on a rien dit nous autres !
— Non, j’sais ben...
— En tout cas, Ti-Georges va te trouver pas mal belle à Noël. Y en reviendra
pas, ajouta Julianna en prenant les mesures du bas de la robe.
— Chus vraiment jolie ? demanda Rolande timidement.
— Une beauté ! lui confirma Julianna.
— Je lui imagine la face à mon frère quand y va la voir là-dedans, dit
Marie-Ange. Les yeux vont lui sortir de la tête.
Rolande gloussa de bonheur. De nouveau, elle s’admira dans la glace. Ce ne fut
pas le visage ébahi de Ti-Georges qu’elle imagina muet d’admiration, ce fut
celui d’un beau jeune homme à la moustache...
Le chantier des pères trappistes n’étant pas trop loin, François-Xavier et
Elzéar purent descendre passer le temps des Fêtes dans leur famille. Ils
arrivèrent le matin du 24 décembre. À l’accueil que lui réserva sa femme,
François-Xavier vit tout de suite que son cadeau lui avait vraiment plu. Au lit,
ils firent l’amour passionnément, comme jamais auparavant. Neuf mois plus tard,
quand Julianna accoucherait d’un autre garçon, bien vivant celui-là, il saurait
que sa conception avait eu lieu en cette nuit de Noël et il demanderait à
l’appeler ainsi mêmesi on serait en plein mois de septembre.
Julianna trouverait à redire et c’est le vieux prénom Zoel que porterait leur
fils.
Henry leur avait également fait la joie de venir réveillonner avec eux. Il
était arrivé juste un peu après son mari. Les yeux brillants de joie, il était
débarqué du snowmobile qui servait de taxi l’hiver. Il avait regardé
Julianna avec des airs de petit gars en lui demandant s’il dérangeait.
Julianna rayonnait de bonheur. Elle avait l’impression de revivre ! Elle
adorait les surprises, avait-elle répondu à Henry. La veillée chez les Rousseau
fut mémorable. Les femmes étaient belles, les hommes en verve, les enfants
heureux. Henry avait été agréablement surpris de trouver chez Jean-Marie un
interlocuteur plus que valable. Le jeune homme avait une vision de l’avenir très
avantgardiste. Jean-Marie avoua qu’il lisait énormément. Pendant ses trois
années de vagabondage,
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