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La chapelle du Diable

La chapelle du Diable

Titel: La chapelle du Diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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Entre les pattes, le banc reposait, également à l’envers, lui aussi bien attaché
     et rembourré de tissu.
    Julianna fut vraiment touchée. Elle expliqua aux deux hommes
     comment défaire les pattes.
    — Doucement là, là, faut surtout pas forcer, transportez-le dans le salon,
     tassez le divan, mettez-le dans le coin, là, là, une chance que le salon est
     grand, maintenant le dessus, non, non, laissez-le attaché, vous le tournez de
     côté, dou-ce-ment, cognez-le surtout pas, voilà... Oui, mettez-le sur le tapis,
     là, là, à l’envers, on va lui remonter les pattes, pis après, il va falloir le
     tourner... Pour la dixième fois, les enfants, tassez-vous !
    Les deux déménageurs furent patients et laissèrent madame Rousseau les
     surveiller. Il faut dire que c’était la première fois de leur vie qu’ils
     voyaient un tel piano. Bien trop gros pour rien. « Veux-tu ben me dire que c’est
     que ça donne d’avoir un bétail pareil quand un piano ordinaire fait la même
     affaire ! »
    Julianna n’en revenait pas. Son piano, son piano était revenu ! Elle remercia
     les amis de son mari, les embrassa, leur servit à manger, pigeant dans les
     réserves de Noël, leur offrit chacun un pot de confitures.
    — Si vous voulez quoi que ce soit d’autre...
    — Allons, ma bonne dame, nous autres on a été payés par votre mari, c’est
     assez.
    — On va s’en retourner, y fait noir de bonne heure pis on voulait remonter un
     chargement de bois.
    — Vous retournez pas au chantier ?
    — Ben non, on s’en va coucher à Jonquière.
    Julianna leur souhaita bonne route et les embrassa encore. Elle venait à peine
     de revenir dans le salon admirer son instrument qu’un des deux hommes revint
     avec, dans les bras, le banc du piano.
    — On s’en allait oublier ce petit bout.
    Avec un signe de tête, cette fois, ils partirent pour vrai.
    Julianna coupa les cordelettes une à une et retira les couvertures. Son piano
     était intact et n’avait pas une égratignure. Elle ouvrit le clavier, enfonça une
     ou deux touches, se délecta du son... Elles’attaqua au banc,
     coupa les bouts de tissu et machinalement l’ouvrit. Car le banc servait aussi de
     coffre pour ranger les partitions. À l’intérieur, une autre lettre l’attendait
     ainsi qu’un cahier de musique flambant neuf. Elle commença par la missive. Elle
     était signée par un des frères Vauvert. Il expliquait que François-Xavier,
     depuis qu’il avait pris contact avec eux, avait fait don, chaque année, d’un
     généreux montant pour l’orphelinat. Pour les remercier de cela et du prêt de ce
     magnifique piano, la communauté lui faisait cadeau d’un tout nouveau cahier de
     chansons qui allait certainement lui plaire, La bonne chanson de l’abbé
     Gadbois.
    Le frère lui souhaitait aussi ses meilleurs vœux de Noël et une bonne et
     heureuse année 1938.
    Julianna ouvrit le cahier, le feuilleta, s’arrêta sur la chanson intitulée
     « Voulez-vous danser Grand-mère », s’installa sur le banc, plaça le livret sur
     son appui et déchiffra silencieusement la mélodie. Après un moment d’hésitation,
     elle se concentra et la joua. C’était un air facile et elle l’interpréta
     parfaitement du premier coup.
    Ses enfants l’écoutèrent d’un air ravi. Ensuite Julianna passa à quelque chose
     de plus sérieux. Elle étira ses doigts, prit une grande inspiration et entama
     « Le clair de lune » de Debussy. Elle joua avec tout l’amour qu’elle portait à
     son époux la mélodie romantique la plus belle au monde. Les notes s’élevèrent et
     furent transportées par le vent jusqu’au chantier où la forêt la répéta en
     réponse au cœur d’un homme, qui, la hache à la main, se languissait de savoir si
     sa princesse l’aimait encore...

    Peu de temps auparavant, Julianna avait reçu un autre présent. Madame Dallaire
     avait fait un peu de rangement dans son grenier et voulait faire de la place en
     se débarrassant d’une vieille machine à coudre de marque Singer. Elle en avait
     fait don à Julianna en luidisant que de toute façon, ses vieux
     yeux ne voyaient plus assez clair pour ce genre d’ouvrage. La machine
     fonctionnait encore très bien. Julianna l’avait fait transporter jusque chez
     elle. Elle s’était découvert une passion et s’était mise à confectionner tous
     les vêtements de sa famille. Ces dernières semaines, elle avait cousu des robes
     pour

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